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Elle

Comme chaque futur matin, mon réveil sonne à sept heures. Je me lève, les yeux tout collés et le corps engourdi par la fatigue.
J'entrouvre la porte du salon pour accéder à la cuisine dans laquelle j'attrape une pomme verte.
J'entends le sèche-cheveux de ma mère dans la salle de bains mais je décide de ne pas aller la voir pour le moment.
Je m'assieds sur mon lit, en face de mon armoire que je viens d'ouvrir.
Je réfléchis aux vêtements que je pourrai porter aujourd'hui en croquant dans le fruit mûr.
Après plusieurs minutes, je finis par opter pour un jean bleu et un joli tee-shirt blanc aux épaules dénudées, détaillé par de la dentelle.
Je termine de me préparer et enfile mes chaussures noires pour partir de chez moi à sept heures quarante-cinq.

Debout, adossée contre les portes du fond de mon métro, mes écouteurs coincés dans les oreilles, je repense a lui.
J'espère le revoir ce midi, sans cette fille... mais ce n'est qu'un rêve qui ne deviendra certainement jamais une réalité.

J'arrive devant la grande porte impressionnante de mon collège. Il y a énormément d'élèves attendant tous l'ouverture de cette dernière.
J'essaie d'apercevoir la longue chevelure aux reflets or de Clémence, mais je ne la vois pas.
L'espace s'agrandit, quand, petit à petit, les personnes qui envahissaient le trottoir rentrent à l'intérieur de l'enceinte scolaire.

En sortant des toilettes, je remarque Clémence au bout de la cour, assise seule sur un banc. Elle a le regard vide et un visage sans expression. Et pourtant, lorsque je viens la saluer, un magnifique sourire chasse l'obscurité de ses traits fins.
- Oh ! Anna ! Tu vas bien ?
- La reprise est difficile. (J'esquisse un sourire.) Mais oui, et toi ?
- Un peu fatiguée...
Elle se lève et me prend dans ses bras. Ses câlins amicaux sont réconfortants et agréables. Je les aime beaucoup. Elle a une odeur douce et féminine, que je ne saurai définir.
Lorsqu'elle relâche son étreinte, nous nous dirigeons vers notre rang en entendant la sonnerie.
Elle brise le silence.
- Tu penses toujours à lui ?
- A contre-cœur, oui.
- J'imagine que tu espères le revoir ce midi...?
Je suis persuadée qu'il y a uniquement de la bienveillance derrière sa question, mais je préfère ne pas m'y attarder. L'une comme l'autre, nous savons très bien que la réponse est « oui ».
Bien sûr que j'espère le revoir au self. J'en ai rêvé toute la nuit.
Il occupe mes pensées complètes, mon esprit entier.
Je l'aime. Enfin, je crois l'aimer.
   Peut-on aimer une personne que l'on ne connaît pas ? Une personne à qui l'on a jamais parlé ? Est-ce un « coup de foudre »?
   Si c'est le cas, je comprends désormais ce terme qui ne semble arriver que dans les films à l'eau de rose.
   Je ne le connais absolument pas. Son prénom m'est inconnu, et il est peut-être le pire agresseur de tout le quartier.
Et pourtant, ce sourire joyeux et ce regard profond m'ont frappée comme la foudre. Surtout son regard. Ses magnifiques pupilles expressives.
Le seul rêve que je souhaite lorsqu'un cil se dépose sur ma joue est qu'il me parle, ou même simplement, que je puisse savourer une nouvelle fois sa beauté.
Je crois que je pourrai l'observer des heures durant...
- Anna !
Les talons claquant bruyamment sur le sol et la voix aiguë de ma professeure d'anglais me tirent de mes pensées.
- Anna ?
Je la regarde d'un air désemparé et elle me dévisage.
- As-tu écouté le document que l'on vient d'analyser ?
Je réponds honnêtement. Lui mentir m'attirera seulement plus de problèmes.
- Désolée, je n'ai pas suivi le début de votre cours.
Elle me fusille du regard.
- Eh ben dis-donc ! Je vous félicite mademoiselle ! L'année commence bien pour vous !
Son vouvoiement insistant et inhabituel prouve à quel point elle va me haïr toute l'année. Cette professeure s'entend merveilleusement bien avec la proviseure donc si je tiens à pouvoir lire des mots agréables sur mon bulletin, j'ai tout intérêt à lui obéir.
Je baisse les yeux et me force a écouter la fin de son cours malgré le fait que j'ai de très fortes envies de sombrer à nouveau dans mes pensées.

Je me sens libérée lorsque j'entends la mélodie énervante et répétitive de la sonnerie.
Le temps que je termine d'enfouir mes cahiers dans mon sac Eatspak, Clémence m'attend déjà à la sortie de notre salle de langue.
Je me réjouis d'arriver à l'heure du déjeuner, mon seul et unique but étant de le voir — et de sortir de cette satanée pièce, où je suis installée bien trop près de cette enseignante à mon goût.
Nous parlons naturellement et tranquillement avec Clémence avant d'entrer dans la cantine.
Le menu de ce midi ne me plaît pas trop. Je prends une assiette seulement remplie de petits pois pour combler ma faim.
Avant d'accéder à la partie des élèves, je prends une grande inspiration et nous avançons.
Clémence me scrute de son regard délicat.

Nous nous installons à une table libre sans aucune trace de lui. Aucune de nous deux ne l'a vu malgré notre motivation.
Je continue à le chercher tant que je peux dans cette horde d'élèves déjantés sans y parvenir.
Je finis par abandonner désespérément, et nous poursuivons notre discussion.
Inconsciemment, j'analyse tous les visages de cet espace, un à un.

Notre repas se termine. Nous sortons lentement du self, aussi déçues l'une que l'autre.

La fin d'après-midi se passe calmement, sans aucun événement particulier, ni aucune perturbation, tout comme les deux jours suivants.
Je ne le revois malheureusement pas malgré toute ma motivation.

~

Exceptionnellement, ma satanée professeure d'anglais est absente et je commence ma journée à dix heures dix, ce qui me permet de dormir un peu plus et de me préparer tranquillement.
Comme à chaque réveil, la première personne à laquelle je pense est la sienne, et comme chaque matin, je rêve de le revoir.

Ma matinée s'est anormalement passée sans aucun problème.
L'heure de déjeuner arrive rapidement et j'imagine déjà une rencontre parfaite, digne d'une scène romantique d'un film.

Le large choix de plats défile devant Clémence et moi, et nous saisissons une assiette composée de purée aux carottes et de viande.
Le repas ne m'enchante pas, mais il faut avouer que je ne suis pas simple à satisfaire concernant l'alimentation.
Clémence me paraît heureuse de pouvoir déguster une part de tartes aux pommes en dessert.

Je lui indique une table plutôt étonnement propre au fond de la salle du haut de la cantine. Quatre autres élèves rient à côté de nous et nous nous empressons de commencer à manger tellement nous avons faim.
Comme à notre habitude, nous débattons sur les sujets les plus incensés et rigolons de nos réponses tout aussi ridicules. J'en oublie presque sa personne mais j'y repense aussi vite, mon but ultime caché dans un coin de ma tête.
Si je ne le vois pas aujourd'hui, il va d'autant plus me manquer ce week-end et les jours seront vraiment longs.

Lorsque nous avons terminé de rire à nos propres bêtises, nous nous levons et partons vers l'endroit où nous devons débarrasser nos plateaux et assiettes.
Je me sens soudain poussée par une force supérieure à la mienne, et le bruit de la vaisselle s'éclatant sur le sol m'irrite les oreilles.

Ton regard Où les histoires vivent. Découvrez maintenant