Chapitre 2

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Dans mon début de récit, j'ai très peu parlé de mes origines et du point de départ de ma misérable existence. Je concède que ce terme de point de départ est un peu barbare mais pour ma vie il n'évoque que la simple vérité. Elle a toujours été une course, une compétition pour me démarquer de mes camarades, pour ne pas vivre, mais survivre.

Je n'ai pas connu mes parents, comme j'ai déjà pu vous le dire quelques lignes auparavant. Ils ont perdu la vie quelques mois après ma naissance dans un avion qui s'est enfoncé dans le Pacifique. Boing 737-B, conducteur fou, alcoolique fini. "Les contrôles dans l'aéronautiques sont fréquent !" continuent t-ils de crier sur tout les toits. Suite à cet incident qui a chamboulé ma vie pour toujours, j'ai été confié durant quelques années à un arrière grand oncle que je ne connaissait que de nom. Il vivait dans une maison perdue en campagne, la ville la plus proche était Rouen. Vous savez c'est le genre de maison, lorsque vous passez devant vous vous dites:"Pouah comment c'est possible d'habiter dans un trou paumé comme celui-ci !!". Je n'ai pas la réponse, mais c'est possible. Mon oncle Tom vivait seul, depuis 11 ans, année du décès de sa compagne. "Ah les femmes !", disait-il pour lui même en regardant les lilas fleuris et les dahlias en fleurs. Oncle Tom souffrait depuis quelques années d'un cancer de la peau. De toutes les situations possibles et inimaginables il avait réussi à se dépêtrer: il avait eu une tumeur aux reins, et de nombreuses épreuves psychologiques... avec un père alcoolique et sa femme qui part des années avant soi, comment peut-on vivre sans troubles psychologiques. Cependant il m'a confié que pour voir sa psychologue il n'avait pas besoin d'aller à Rouen, il lui suffisait de faire quelques pas et de s'asseoir près de la lavande, perpétuellement butinée par ses petits êtres de compagnie. Vous l'aurez compris, il n'avait qu'un mot à la bouche: "persévérer". Parfois il ne croyait plus à son sort, se laissait aller mais j'étais là, avec lui, il n'avait pas le droit de me faire ça. Mis à part ces moment de faiblesse, nous vivions des moments inoubliables. Nous passions des journées entières à jouer au football, à danser sous la pluie, à chanter à tue tête dans le jardin, à jouer aux échecs, à peindre en riant. Peur. Souffrance. Ces activités ont encore plus accentué ma tristesse lors de son décès. Il avait été transféré à l'hôpital suite à une crise, et les médecins ont jugé préférable, étant donné ma situation, de me confier à un organisme selon eux compétant. L'orphelinat. Ce n'est que quelques minutes après cette dure nouvelle qu'il m'embrassa sur la jour pour la dernière fois, il eût le temps de finir cette phrase: "Ta vie ne sera pas facile, mon garçon, tu es frêle et petit mais grand d'esprit et tu fera comme moi, tu persévérera toute ta vie jusqu'à ton dernier...". "Souffle". Ce n'était pas lui qui avait fini cette phrase mais moi. Il n'avais pas pu, pas eu le temps de la finir. Il expira. Les larmes coulaient à flots, et s'égaraient dans le coin de ma bouche. Ses paupières étaient closes, sa main refroidissait. Le médecin lâcha un "désolé" blasé puis s'en alla. Je me retrouvais de nouveau seule.

Ce n'est qu'après ces deux grandes tristesses de ma vie  que je fus confié à l'orphelinat de St-Blin. Aussitôt arrivé je sentis déjà l'enfermement et la solitude dont j'allais souffrir dans ces trois bâtiments blancs, froid mais surtout massifs et imposants. Une prénommée Aude m'a accueilli avec un sourire qui trahissait sa joie d'enfin voir un visage neuf, c'est d'ailleurs la seule qui m'a adressé un sourire durant mes trois ans de prison. D'orphelinat pardon.  "L'organisation de l'orphelinat est simple", continuait elle dans le vide. J'entendais, je n'écoutais pas, je n'en était pas capable après les événements des derniers jours. Cela c'était enchaîné sans que j'ai le temps de dire ouf. Mes émotions sont passés du tout au tout. De la tristesse, puis de l'espoir et enfin du désespoir, en passant par l'amertume et le besoin de vengeance. Qu'importe ? Je ne devait pas préoccuper le monde... Cependant j'avais l'air de préoccuper Aude. Tandis qu'elle continuait de parler à ses murs (oui oui, il n'y a que ça de toutes façons ici) je contemplait ces grands bâtiments qui ne m'inspiraient guère confiance. Nous étions dans la grande cour, le seule endroit qui me faisais penser à un brin de liberté de tendresse, pourquoi pas même d'amitié. Je n'avais jamais eu d'ami. Ni d'animaux de compagnie. Ma seule compagnie était la solitude. Je n'avais eu qu'elle ou presque. A croire que l'on m'en voulait, je ne sais pas pourquoi. J'ai du faire quelque choses qui n'ont visiblement pas plu... A qui je ne sais pas mais ça n'a pas plu. Je ne vois pas pourquoi, sinon, on s'acharnerait sur mon sort qui n'était déjà pas extraordinaire. Continuons la visite. A ma gauche se tenait fièrement et grossièrement la cantine : que j'ai renommée "salle des humiliations", je vous assure, il n'a suffit que d'un repas pour trouver ce surnom, vous saurez bien assez tôt pourquoi. En face de moi c'étaient les dortoirs, "salle de l'ennui", vous devinez peut être pourquoi. Viennent ensuite les bâtiments administratifs et les salles de classe, le seul bâtiment dans lequel j'aimais pénétrer. On y apprenait et tous les pensionnaires était mis au même niveau, ce qui n'était pas le cas des dortoirs, où des rois régnaient paisiblement sur un petit peuple discret. 

Bref, j'étais comme qui dirait, coincé entre quatre murs. 

L'histoire d'un orphelin pas comme les autresWhere stories live. Discover now