L'ÉCHELLE DES SENTIMENTS

5. EMMA

- Emma ! Tu peux venir s'il te plaît ?

La jeune fille ne se fit pas attendre. Elle finit de ranger la pile de livres qu'elle avait dans ses bras et accourut vers la voix.

- Oui Delphine ? Tu m'as appelé ?

- Est-ce que tu pourrais t'occuper de ces jeunes femmes qui recherchent un livre pour leur petite fille ? Moi je n'ai pas le temps, il faut que je finisse d'enregistrer les ouvrages qu'on a reçu ce matin.

Emma ne se fit pas prier et s'en alla accueillir les deux nouvelles clientes.

- Bonjour mesdames, comment je peux vous être utile ? s'exclama Emma poliment.

- Bonjour mademoiselle, je suis à la recherche d'un livre pour notre fille. Elle va avoir huit ans et elle adore déjà lire. Nous voudrions alors, ma compagne et moi, lui offrir un roman, mais qui reste accessible pour son âge.

En demandant cela, la femme prit la main de ladite compagne, lui montrant ouvertement leur amour sous les yeux de la jeune libraire. Emma sourit. Cela ne la dérangeait pas le moindre du monde. Elle trouvait ça très beau deux femmes qui s'aimaient -comme deux hommes qui s'aimaient-.

- Bien sûr ! Quel sorte de livre aime votre fille exactement ? Elle préfère le fantastique, les histoires d'amour, les aventures ?

Sa patronne, Delphine, qui l'avait appelé il y a quelques minutes, regardait sa nouvelle recrue de loin. Elle se remémorait le jour où la jeune Emma avait fait sonner la cloche de sa librairie pour la première fois. Aux premiers abords, la jeune fille ne payait pas de mine. Ses cheveux rassemblés dans un chignon décoiffé, un sweat sombre sur les épaules, et des baskets sales de boue aux pieds, la patronne ne sut quoi penser de cette jeune fille, qui semblait visiblement s'être trompée de porte.

- Je viens postuler pour le poste d'assistance, avait-elle dit d'une seule traite, laissant ses paroles là, devant l'air hébété de la gérante du magasin.

- Heu... Bien sûr, as-tu un CV à me donner ? avait-elle réussit à dire, paraissant le plus sérieuse possible.

- Non. J'aime juste lire. Donc quand j'ai vu votre annonce, je me suis dit que je serais une bonne candidate.

Delphine se pinça les lèvres. Si elle croyait que c'était si facile de se faire embaucher, elle se mettait le doigt complet dans l'œil. Certes sa librairie était petite et un peu mal placée, mais elle était tout de même dans la capitale anglaise. Il fallait alors se battre et le mériter un minimum pour trouver un travail dans cette ville, surtout en ces temps.

- Il ne suffit pas d'aimer lire mademoiselle, il faut aussi être à l'aise avec la clientèle, pouvoir la conseiller, être attentif à leurs demandes, et donc avoir une certaine culture littéraire. Pensez-vous remplir tous ces critères ?

- Oui madame. S'il vous plaît, laissez-moi faire un essai, j'ai besoin d'un travail et je suis très motivée pour travailler pour vous, répondit d'un ton confiant la jeune Emma, redressant peu à peu ses épaules et levant le menton pour regarder la patronne dans les yeux.

La jeune patronne regardait la jeune fille, pensive. Elle paraissait vraiment perdue, et surtout affamée et à bout de force. Elle avait visiblement vraiment besoin de ce poste. Malgré la noirceur de ses cernes, on pouvait apercevoir une lueur d'espoir dans son regard, lui donnant presque un air assuré. Ou alors c'était juste la fatigue qui lui donnait les yeux aussi brillants. Delphine décida de garder sa première impression et prit la décision de lui laisser une chance.

Cette jeune fille lui faisait penser à la princesse de sa BD préférée lorsqu'elle était enfant. L'héroïne, une riche enfant envoyée dans un internat par son père contraint d'aller accomplir son devoir de citoyen en allant combattre pour sauver son pays, connu un destin tragique. La jeune enfant, appelée princesse de tous, finit par perdre toute sa fortune suite au décès de son père. Et la jeune femme qui se tenait devant elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.

Delphine décida alors de devenir la bonne fée que la jeune princesse n'avait pas eu la chance de croiser le chemin. Elle était donc prête à lui donner une chance. Peut-être pour se donner une bonne conscience, mais espérant aussi pouvoir participer à la renaissance d'une jeune fille, trop jeune pour manquer d'amour et de confort. Car elle pouvait mettre sa main à couper que la fille frêle et fragile qui se tenait devant elle, les mains enfoncés dans les poches de son pulls, n'avaient plus de parents. Ou en tout cas, plus de parents pour s'occuper d'elle.

Son mari lui répétait sans arrêt qu'elle avait un coeur trop tendre et qu'ils ne vivaient pas dans le même monde. Il avait raison.

- D'accord, je veux bien vous prendre à l'essai. Revenez demain à 8:00. Et pas après. Et mettez d'autres vêtements, vous représenterez dorénavant l'image de ma librairie.

Emma ne put retenir un sourire.

- Merci madame ! Merci de me donner ma chance. Promis je ne vous décevrai pas !

Et en effet, elle ne l'avait pas déçue. Emma était venue le lendemain à 7:48, coiffée d'une queue de cheval, et habillée d'une petite robe en laine assortie d'un collant opaque avec des petits bottines aux pieds. Delphine eut du mal à la reconnaître.

La jeune patronne sortie de ses pensées lorsque la cloche de son magasin retentit. Elle vit Emma s'approcher d'elle d'un pas assuré mais légèrement maladroit tout de même, marquant son manque de fatigue qu'elle subissait depuis quelques semaines. Qu'elle subissait plus précisément depuis le jour où elle avait reçu sa facture d'eau et d'électricité. Emma vivait donc maintenant à travers la lueur de sa bougie, emmitouflée dans sa grande couverture en laine qu'elle avait récupéré un soir en rentrant de son travail près du secteur poubelle.

- C'est bon ! s'écria-t-elle à sa patronne, je leur ai vendu le premier tome de Harry Potter. J'étais sidérée quand elles m'ont dit qu'elles n'y avaient jamais pensé. Elles étaient ravies.

Lorsque Emma se trouvait entre les murs de la librairie, elle se métamorphosait. Elle se sentait comme un fleur qui n'avait pas vu le soleil depuis des années. Et lorsqu'elle franchissait le seuil du magasin, Emma rayonnait. Elle se sentait en sécurité dans cet endroit, loin du froid et de la violence londonienne. Tous les soirs, c'est un déchirement pour la jeune anglaise. Quand l'heure arrivait, cela voulait dire qu'elle devait affronter l'extérieur, sans chaleur ni couleur. Dans cette ville, surtout par ce temps hivernal dont la population londonienne devait faire face depuis quelques semaines, la ville était plongée dans la pénombre grisâtre et le froid glacial de décembre.

Emma détestait l'hiver. Elle ne rêvait que d'été, de chaleur, de soleil sur sa peau et d'un peu de gaieté. Mais Emma n'avait pas le temps de rêver de tout cela, il fallait qu'elle gagne de l'argent, encore et encore, pour pouvoir dormir sous un toit le soir et se nourrir un minimum. Même si corps était frêle et fin, n'ayant pas besoin de beaucoup de calories à ingurgiter, il fallait tout de même en avaler quelques unes. Et chaque jour, elle se battait pour cela.

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Nouveau chapitre sur notre petite Emma, le personne le plus tragique il faut l'admettre. Son envie de s'en sortir est tout de même touchant n'est-ce pas ? Cela remet également en cause la condition des SDF qui habitent notre France et même tous les pays du monde. Un débat que je commence à provoquer avec mes proches, voulant voir leur point de vue sur la question et pouvoir faire évoluer ma vision de la chose. Chacun a sa vie, son histoire, et ses raisons d'être là où ils sont. Mais ont-ils baissé tout simplement les bras, ou n'ont-ils vraiment aucun moyen de s'en sortir ? Si vous voulez en parler, n'hésitez surtout pas, je serai ravie de débattre sur la question avec vous !

Sur ce, j'espère que ce petit chapitre vous aura plut. Je ne fais pas de chapitre trop long pour que mon récit soit facile et léger à lire. J'espère que celui-ci vous aura plut en tout cas. On se retrouve pour la suite très bientôt ! Profitez bien de ces derniers jours de vacances pour ceux concernés et sinon bon week-end à tous !