La Rue des Bouquinistes Obscurs

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Virgil s’appuya légèrement sur moi pour tenter de garder son équilibre. Il était bien trop ivre pour tenir droit. Je le soutins sans difficulté, attrapant son épaule et sa taille. Il reposa sa tête bouclée contre la mienne en laissant échapper un léger rire, et je rougis à cette proximité inattendue.

-Tu tiens bien l’alcool, laissa-t-il échapper.

-Je suis plus grand que toi.

Mon ami prit une moue désappointée. C’était adorable de voir ses douces lèvres se pincer et ses jolis yeux se plisser, comme il le faisait souvent.

-Où allons-nous maintenant, mon cher Adam ? me murmura-t-il à l’oreille.

Il me fallut quelques secondes pour me ressaisir. Ivre, Virgil était bien plus tactile et proche avec moi qu’habituellement et cela provoquait différentes sortes de sensations en moi. Heureusement qu’il faisait trop noir dans la rue déserte pour qu’il remarque le rouge me montant aux joues.

-Eh bien… commençai-je.

-Mais quelle heure est-il ? me coupa-t-il. Où est le fiacre ?

J’observai la rue où nous étions. Elle était vide et silencieuse, les sons des violons nous ayant déjà quittés. La prestigieuse demeure de Sir Lockhart d’où nous avions plus ou moins fuit était sinistre dans la pâle lumière des éclairages nocturnes. La porte principale était dernière nous mais, étrangement, aucune voiture ne nous attendait pour nous ramener à la maison.

-Peut-être nous sommes-nous trompés de porte, j’hasardai, peu convaincu. La maison d’Henry est grande, il est possible qu’elle possède plusieurs sorties.

Cela ne sembla pas le convaincre, sa poigne se resserrant plutôt sur mon bras.

-Peut-être devrions-nous retourner à la fête ? j’ajoutai, en espérant une réponse. Son visage était tourné de façon à que je ne puisse pas l’apercevoir.

-Et entendre à nouveau les jérémiades de la duchesse de Pennington ? Plutôt mourir ! s’exclama Virgil brusquement. Allons-nous promener, plutôt.

-A cette heure ? je répliquai. Il est bientôt minuit. Nous risquons de—

Mais au lieu d’écouter mes protestations, Virgil s’élança en avant, la main agrippée à mon poignet. Visiblement les vertiges de l’alcool ne semblaient plus lui faire effet quand il n’avait plus de prétexte de se tenir à moi. Ne pouvant espérer le convaincre de faire demi-tour, je l’accompagnai dans les ruelles faiblement éclairées par les lanternes. Quelques rats fuirent à notre chemin et une étrange créature disparut dans un conduit souterrain. Nos pas résonnaient dans le silence de la nuit. Le silence. Rare dans une ville de cette ampleur qu’est Londres. Je ne voyais rien à faire dans les rues à une heure pareille, mais cela ne semblait pas être de l’avis de mon ami.

-Où m’amènes-tu ? demandai-je finalement, en me défaisant de son étreinte.

Pour seule réponse, Virgil haussa les épaules. Il donna un coup de pied dans le cadavre d’un rat posé au milieu de la route.

-Ne trouves-tu pas étrange que les rues soient aussi désertes ? questionna-t-il d’une voix calme. D’habitude il y a au moins… je ne sais pas, la patrouille de nuit. Pour surveiller les bars, les prostituées et les molly houses.

J’observai autour moi. La rue que nous avions empruntée se rétrécissait et menait sûrement à une impasse mais impossible de le voir car l’éclairage s’arrêtait là. Un sentiment désagréable monta dans mon échine et des poils se hérissèrent sur le derrière de mon cou.

-Rentrons, murmurai-je. Cet endroit est… bizarre.

Ma dernière phrase fut approuvée par le lever d’un vent froid et sinistre. Je me raccrochai à Virgil.

La Rue des Bouquinistes ObscursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant