Voyage à Éovus

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Keola range vite son livre dans son sac, bousculée par les gens qui, comme elle, voulaient sortir et ceux qui forçaient le passage pour rentrer. C'était tous les jours la même chose. Pas un plus aimable que les autres. Déjà fatiguée par la journée qui l'attend, elle fourre ses poings dans ses poches et marche d'un pas décidé vers la sortie. Encore quelques marches et elle se retrouvera dehors, agressée par le vent matinal.

Les heures s'enchaînent. Les minutes passent et les secondes ralentissent. Après la philosophie, la littérature espagnole. Entre deux cours, elle s'empare discrètement de son livre et se plonge dans les pages d'un monde merveilleux. La scène se déroule devant ses yeux, obnubilés par l'enchaînement des mots sur le papier blanc. Enchevêtrée dans un temps parallèle, en pleine guerre d'Éovus, elle combat aux côtés des Capésiens contre les forces maléfiques des Uvériens. Une épée à la main, elle fonce sur le camp adversaire sous un ciel encore plus menaçant que les cris qui s'élevaient. Les ferrailles s'entrechoquent, les gémissements se multiplient et semblent venir des entrailles de l'Hadès. De ce concerto épique se distingue une voix. Elle s'immisce de plus en plus dans son esprit, comme un écho lointain, et brouille sa perception.

- Keola ? Peux-tu nous dire quel est la tonalité du passage page 124 ? Et par la même occasion mettre ton livre de côté ?

Touchée, coulée. Sa prof était en train de l'observer, les poings sur les hanches, le regard rivé sur celle qui feignait si mal d'écouter. C'était la deuxième fois qu'elle se faisait prendre depuis le début de la semaine.

Keola écarquille alors les yeux et tente de reprendre ses esprits:

- Page 124 ? Alors...

Il lui faut quelques minutes d'adaptation pour passer des Capésiens à Pepe Carvalho, de Manuel Vázquez Montalbán. Du pays imaginaire qu'elle parcourait il y a quelques instants, elle se rend en pleine Espagne castillane. Elle avait cette étrange capacité à se projeter dans n'importe quel espace, à n'importe quelle époque. Une capacité qui, selon elle, ne lui apporterait pas grand chose. Ce n'était certainement pas grâce à sa capacité d'identification qu'elle arriverait à réussir ses concours, et encore moins à avoir un métier.

A vrai dire, Keola était complètement perdue de ce côté-là. Elle n'avait aucune boussole pour lui indiquer le chemin à prendre. Cela faisait des années qu'elle se laissait guider par ses lectures qui la protégeaient d'un monde réel bien trop effrayant à son goût. Mais ça ne durerait pas longtemps. D'ici la fin de l'année, elle aurait un plan. Jusque là, elle était décidée à profiter de son voyage en littérature inconnue ; un voyage dont le départ se faisait en gare d'Havre-Caumartin.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 03, 2019 ⏰

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