Mémoire d'un tir

10 2 0
                                    

7:19 .Un obus est envoyé ,suivit de dizaine, de vingtaine, de beaucoup trop d'autres... Le sol tremble, vibre , se fissure, s'affaiblit, une immense calotte de terre est soulevé à quelques mètres de moi. Je crains l'ensevelissement, mais l'unique chose qui me parvint est la caboche d'un cheval en putréfaction, ses babines gluantes, ses dents jaunâtres, et les immondes vers qui y grouillent par milliers dégagent une odeur particulièrement nauséabonde...

Je gis parmi les morts mais je survis, c'est ahurissant ,tant d'hommes, de marchands, de fermiers, de pécheurs, de banquiers, de futurs génies, tant d'artistes et tant de braves hommes, c'est ahurissant. Derrière toutes les armes, tous les coups, tous ces cris, tous ces visages, tous ces oubliés, et derrière tous ces noms il y avait des humains, des oncles, des cousins, des frères, des pères, des fils, des amis, des époux et des amants, mais tant d'autres aussi.

On nous emmène ici, personne ne sait vraiment pourquoi,certains viennent la fleur au fusil, d'autres mouchoir à la main, mais tous ne reviendrons pas, mais personne ne veut l'assumer. Au fond on le sait tous, que chaque minutes est peu-être notre dernière heure...

Mais quels hommes censés à envie de se l'avouer, personne n'a le courage de venir quand on ne sait pas quand on reviendra, quand on ne sait pas si même on en reviendra. Mais se ne sont pas toujours ceux qui le méritent qui survivent. Mais me direz vous, qui mérite de crever ici dans ces conditions, il faut être sacrément indigne pour mériter ça.

C'est une sorte de cadre dans lequel on aurait peint tous les mots les plus ignobles, tous les idéaux les plus infâmes. Toute l'horreur de la terre en un tableau, ou plutôt en un mot. Guerre.

Les hommes devant moi défilent ,foncent sous le coût de sifflet du général, ordre d'attaque, ordre de mort, mais vaut mieux y aller que se rebeller, j'en ai vu passer depuis 14 des soldats qui se sont faire refairent un sens de l'autorité , des soldats réduits à néant, de la chair et des os, voilà ce que ne nous sommes pas, mais voilà comment nous sommes considérés.

Même les Boches doivent être mieux traités pourtant cette saloperie deGeorg von Hertling, chancelier allemand actuel a pourtant pas une tête de porte bonheur... Après l'assaut le calme est de retour, je sens que moi aussi ça va être mon tour, à moi de figurer sur cette liste des innombrables disparus au combat. On ne peut dire que la chance tourne , mais disons que ce qui est déjà mort ne le sera pas deux fois, donc je préfère mourir demain .

Demain est un bon jour, déjà par ce que ce n'est pas aujourd'hui, et puis par ce qu' il ne se passe rien demain, rien d'important en tout cas.Demain est la certitude d'un avenir, peu importe la longueur de ce demain, demain c'est mieux. Ça ne se discute pas.

L'assaut reprend de plus belle,non, disons de plus moche , c'est mieux. Bref. Je sens la terre vibrer sous les pas du général et les obus déferlent de nouveau. Je sens l'odeur du tabac émanant des entrailles du général, il n'est pas mort bien évidemment. Juste livide à s'y méprendre.

Et de son hâve mâchoire je déchiffre « Au combat! » Deux mots secs, clairs, nets et précis. Presque assourdissants, ces mots font l'effet d'une bombe en moi, un carnage, un mélange d'émotion, de peur, de colère, de rage, de haine, mais aussi un amer goût de sang dans la bouche.

Mais c'est mon heure, on me tire et m'expulse de ma bulle.

On me prend de main ferme, me charge et me tire à une rapidité avide. Je suis projeté à 500 m/s dans cet enfer terrestre , je ne distingue pas la moindre lumière tant la vie a désertée les lieux, les projectiles surgissent de parts et d'autres , la terre, le sang et le brouillard me coupent toute vision.

Autour de moi, en haut , en bas, à gauche, à droite et sorti de nul part,le danger est partout, mais aux yeux de ces Boches je fais parti de leur danger, comme eux font parti du mien.

Je finis par heurter une âme vivante, sur mon flan gauche. Je sens la chair se disloquer à mon passage, je sens la pulsion du sang, je sens aussi ma trajectoire amoindrie à néant. Les muscles de ma victime se crispent. Je ressens sa chute, terrible. Je la sens agonisé, ma douleur fait ravage. Mais je peux encore sentir le léger battement de son cœur, je le sens s'étouffer et s'éteindre à petit feu. Un de plus, un de plus sur cette liste, un allemand mort de plus. Je ne dirai pas Boche en parlant d'un mort, respect pour les morts, qui qu'il soit. On respecte les morts un point c'est tout.

Mais j'en suis le responsable , et dans ma tête ça change tout, enfin je crois.

Après tout c'est mon rôle, c'est ma vocation, ma destinée.Bien que je n'eus pas le choix, j'ai été formaté pour ça , je ne suis pas là pour les regarder s'entre tuer, je suis là pour faire parti de ceux qui s'entre tue. Mais c'est normal me diriez vous, et puis pourquoi je vous raconte tout ça moi... je ne suis pas écrivain, je ne suis pas humain, ce n'est pas comme si quelqu'un en avait quelque chose à faire. Je ne suis qu'une chevrotine* après tout.

Calagan.

NdA : une chevrotine est une munition de fusil utilisé pendant la 1er guerre mondiale

L'Arme Aux YeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant