Partie I - 1 à 4

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« Mais comme, en éthique, le mal est la conséquence du bien, de même dans la réalité, c'est de la joie qu'est né le chagrin ; soit que le souvenir du bonheur passé fasse l'angoisse d'aujourd'hui, soit que les agonies qui sont tirent leur origine des extases qui peuvent avoir été."

Bérénice - Edgar Allan Poe



1

Avant de continuer le récit du Dr Esclosin, j'ai souhaité commencer par vous présenter le témoignage d'Ivaneska. Cette jeune femme, au jour maudit des faits, n'avait que vingt-cinq ans.

C'est le premier Mémento Mori que j'ai écouté. Écouter est un terme bien trop faible. La technologie de ces boules d'Orphée particulières est tellement développée qu'une apparence en trois dimensions apparut devant moi quand j'enclenchais la machine. Le visuel ressemblait en premier lieu à un moine sinistre au visage masqué par un capuchon macabre. La première phrase finie, son apparence changea pour ressembler à une jeune blonde au visage marqué par la perte et la haine. Vu le récit qu'elle fit, je n'ai aucun mal à comprendre tout ceci. Seulement une odeur aussi se diffusa. La boule d'Orphée enregistre aussi le parfum de son sujet ! Aranka avait réellement une technologie supérieure à celle que nous avons en ce moment....

Au moment où je vous écris ces lignes, j'ai encore du mal à croire ce témoignage. Historien moi-même, j'ai fait mes recherches et il est vrai que toute la chute d'Aranka n'est que très peu détaillée. Un voile sombre couvre cette partie de notre histoire. Cela n'empêche que j'ai beaucoup de mal à croire qu'il y ait eu une sorte de machination internationale pour cacher la vérité.

C'est pourquoi la suite de cet ouvrage n'est que cela, la vérité d'une vie et des trouvailles qu'il fit. Aucune analyse ne sera présente en ces pages.



2

Fraîchement diplômé, grâce à une thèse saluée par tous, j'avais l'arrogance de la jeunesse. J'étais capable de tout et il me fallait un sujet impressionnant. La reconnaissance de mes pairs me grisait et je ferai tout pour ressentir cette puissance à nouveau.

Ma thèse de diplômé ? Pour ceux qui ne sauraient pas, je suis surpris mais tout le monde ne s'intéresse pas à l'histoire, je m'étais penché à la charte de non-violence des îles-cités. Nous savons pourquoi elle a été écrite mais il nous manquait pour vraiment la comprendre les connaissances des situations au sol, avant l'élévation. La guerre était totale sur les continents terrestres et l'eau autant que la terre et la première couche atmosphérique étaient hautement contaminées. Pour survivre, il fallut s'élever au-dessus des zones contaminées, avec les quelques terres épargnées. Et surtout il fallait arrêter de faire la guerre ! Au moment de l'élévation, il ne restait plus que quelques cent mille humains.

Ils furent répartis sans prendre en compte les cultures, origines, religions, langues. Il fallait détruire tous ces anciens modèles. Il fallait créer de nouvelles nations, centrées sur l'unique but de maintenir la paix. Évidemment, cela prit beaucoup de temps.

La charte ne fut d'ailleurs signée que trois siècles après l'élévation. Les conflits continuèrent à l'intérieur même des îles... mais ce témoignage ne concerne pas mes recherches en tant que jeune premier de l'université d'Espiranz. J'arrêterai donc les explications à ce sujet pour l'instant.

Il me fallait donc un sujet et je n'en trouvais aucun qui soit à la hauteur de mon talent. Que j'étais prétentieux ! Ma mère ne supportait plus de m'avoir à la maison. Mon maître de chaire me menaçait de me retirer toutes subventions si je ne trouvais pas rapidement un sujet de recherche.

C'est ma mère, énervée par ma présence et mon attitude, qui me donna finalement la réponse que j'attendais. Ce fut comme une illumination ! Elle posa sur ma table de chevet la boule d'Orphée qui se transmet de génération en génération dans sa famille. Très défectueuse, sur le point de se détruire, mais nous n'en savions rien.

Elle la pose sur ma table alors que je dormais. À l'époque, je considérais cette superstition comme ridicule et indigne des gens civilisés que nous étions. Pourtant pendant mon sommeil, j'entendis un conte oublié. Un conte qui n'existe plus. Je fis le plus beau des rêves depuis très longtemps, un rêve enfantin d'animaux qui parlent et me guident vers un trésor sacré : la maison de mes parents.

Au moment de me réveiller, j'entendis une voix : "mon bébé, j'espère que ce conte te fera toujours te souvenir de moi." Si je n'avais pas été presque éveillé, je ne m'en serai pas souvenu. Ni de la voix, ni du rêve. Une chance car c'est ainsi que je sus : il fallait enfin que je fasse des recherches sur Aranka ! Cette île mythique dont nous étions originaires. Je répondrai aux questions que je me posais enfant !



3

La mise en branle du projet se passa sans problème. Mon supérieur était tellement ravi que je vienne avec un sujet qu'il préféra passer sous silence ses inquiétudes quant à celui-ci. Il reconnaissait que cette partie de notre histoire était bien trop brouillonne pour un événement historique de cette ampleur et accepta de débloquer des fonds pour que je voyage. Mais d'abord, il fallait que je fasse mes preuves en accumulant les connaissances déjà à disposition dans notre bibliothèque. Et il attendait un axe de recherche, même provisoire, dans la semaine.

Tout alla très vite en premier lieu, je fis la liste de tous les ouvrages parlant d'Aranka. Je fus étonné de découvrir un nombre si peu élevé : seulement une centaine dans toutes les universités volantes. Je fis la demande auprès de chacune d'entre elles pour en recevoir une copie numérique et il n'y avait plus qu'à attendre en lisant les ouvrages reconnus déjà présents à Espiranz.

Tout était bien trop vague. Les études de mes prédécesseurs semblaient peu sérieuses. Je fis donc la demande des journaux de l'époque auprès des Archives. Mais les articles concernant la disparition de l'île étaient très laconiques. Ils parlaient surtout du problème de repopulation des survivants sur des îles déjà trop peuplées.

Une très bonne amie à moi travaillait aux Archives et elle m'offrit donc tous les journaux qui parlèrent des réfugiés pendant le siècle suivant la chute d'Aranka. Il y avait déjà bien plus de choses à dire. Les réfugiés n'eurent de statut de citoyens qu'au bout de plusieurs décennies. La volonté première ayant été de les abandonner sur une île flottante assez large pour y construire une ville et y exploiter des champs.



4

Je me permets d'intervenir, chers lecteurs, pour porter des précisions sur ce qu'il avance. Voici en premier lieu une série d'articles, trouvables dans les Archives d'Espiranz, pour prouver ses dires :

L'Express n*437, article "Que faire des Arankians ?", année 837 EC (ère céleste)

Journal céleste n*28, article "Pas de ressources pour les réfugiés", année 837

Espérance n*903, article "Des réfugiés en détresse", année 843 EC

Espiranz libre n*123, article "Une terre pour les sans-terre ?", année 928

Espiranz libre n*128, article "Le lobby Arankian ne lâche rien"

En tant qu'historien, j'ai été surpris de découvrir ces mesures qui ressemblent à une mise en exil de personnes innocentes. C'est pourquoi je fis immédiatement mes propres recherches à la suite de ce témoignage.

Il s'avère qu'il a raison mais ses conclusions sont fausses. C'est le lobby arankian, ainsi que tous les réfugiés, qui souhaitaient obtenir une île pour préserver leur culture centenaire. Un argument recevable. Mais cette proposition fut premièrement offerte par le lobby cinquante ans après la chute d'Aranka.

De plus, les îles-cités refusant toujours d'offrir le statut de citoyens aux réfugiés, il semblait plus simple de prendre ce parti pour atténuer les tensions. C'était une décision rationnelle qui fut rejetée pour plusieurs raisons qui ne sont pas forcément marquées dans les journaux.

Refusant d'avancer mon opinion, je m'arrêterai ici et laisserai le soin d'analyser et continuer les recherches à ce sujet à quelque confrère qui voudra.

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⏰ Last updated: Dec 01, 2019 ⏰

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