Prologue

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Je me suis toujours demandé pourquoi j'étais considéré comme un étranger dans l'île-cité Espiranz alors que ma famille y vit depuis plus de six générations. Aucun cours d'histoire pour me parler de mes ancêtres ou ma culture. On ne faisait que me rappeler que je n'étais pas comme les autres. Mes parents les premiers. Je serais d'une île-cité merveilleuse à la pointe de la technologie qui a été détruite il y a cinq cent ans. Moi, comme tous les Arankiens. Nous étions une des cités les plus riches et florissantes à l'époque. Quid de ces richesses ? Quid de la fin de notre île-cité ? Aucune réponse. En dehors de quelques informations, tout semble avoir disparu des livres d'histoire. C'est sans doute pour cette raison que j'ai décidé de devenir historien. Pourquoi serais-je le seul à ne pas connaître mon passé ? Alors même que je connais celle de toutes les autres cités ?

Toi qui m'écoute, tu sais sans doute que je suis déjà ignoré par mes confrères. Mes recherches sont moquées, jugées comme le fruit d'une paranoïa maladive. Mes thèses ont toutes étaient réfutées, les unes après les autres, comme étant uniquement fondées sur des thèmes conspirationnistes.

Mais j'ai réuni ici toutes les pièces qu'ils ont rejetées pour que vous puissiez faire votre avis personnel et peut-être réussir ce que je n'ai pas pu : faire entendre la vérité.

Vous avez sans doute déjà entendu parler des boules d'Orphée, seul vestige de notre culture en-dehors d'un alphabet unique que personne n'utilise plus depuis que les îles se sont élevées (d'après ce que nous en savons). Ces boules au fort champ magnétique, à la surface vierge si ce n'est une inscription sur le dessus. Vous avez sans doute aussi entendu les légendes autour d'elles ? Il ne s'agit pas de contes de grand-mère. Chacune d'entre elles est en fait un espace de stockage : le souvenir qu'une personne offre à une autre. Il faut normalement un appareil spécial pour pouvoir les écouter mais s'ils deviennent défectueux, le champ magnétique transmet le message pendant que votre cerveau est en sommeil léger. C'est une sorte de fuite, sans danger bien que cela reste un dysfonctionnement.

Vous en trouverez quelques-unes ainsi que l'appareil pour les lire. Il y en a une défectueuse, marquée d'une tête d'aigle. Posez-la sur votre table de chevet et écoutez la berceuse qu'elle souhaite vous chanter.

Les instructions pour faire fonctionner sont écrites sur papier. Elles ne sont pas complexes mais par soucis de compréhension, il me semblait qu'il était plus simple de vous les présenter avec des schémas. Mais laissez-moi vous donner quelques informations préliminaires : le nom actuel, boule d'orphée, vient des dites-légendes de messages d'outre-monde entendus dans les rêves. Le nom utilisé à l'époque par mon peuple était "De Profundis", du latin pour dire "des profondeurs". Le latin est une langue bien ancienne que peu de personnes, à part quelques historiens, connaissent encore. Elle servit pourtant de langue scientifique pendant de nombreux siècles, même après l'élévation des îles-cités. Elles étaient des testaments offerts à un membre de la famille, un moyen pour les personnes en deuil de garder une trace de l'être aimé, un souvenir impérissable.

Ce fut cependant la première utilisation de cette technologie car très vite, elle se perfectionna, permettant d'enregistrer des messages de plus en plus long et de plus en plus complexe. Certains de ces modèles plus avancés sont aussi présents dans cette pile d'objet que vous venez de recevoir. J'en ai même trouvé un vierge et y ai enregistré la suite de mon histoire. Quand vous aurez fini avec cette plaque numérique, et que vous aurez écouté tous les De Profundis, je vous invite à écouter le mien.

Ces modèles sont facilement reconnaissables car ils sont d'un noir de jais tandis que les De Profundis de base sont d'un gris acier uniforme et réfléchissant. Ces boules d'Orphée opaques et sombres sont surnommées "Memento Mori", du latin "Souviens-toi que tu vas mourir". Une autre expression ancienne que nos ancêtres utilisaient encore au début de l'ère des cités volantes. À la lecture de ces boules, vous comprendrez d'où leur vient ce nom.

Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bon courage. Et merci d'avoir au moins la curiosité d'écouter jusqu'au bout cet enregistrement.

De Profundis

Dr es historia, Ambar Esclosin.



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Nous connaissons tous l'histoire tragique de cet historien-chercheur un peu lunatique qui a présenté des théories saugrenues sur la destruction de l'île Aranka. Comme au moins un pour-cent de la population de chaque île-cité, il était un membre de la communauté arankienne. Ce qui ne veut plus vraiment dire grand-chose de nos jours si ce n'est une communauté de marchands prospères et de chercheurs parmi les plus reconnus de notre génération (un tiers des scientifiques les plus célèbre vient de leur communauté).

Certains plaisantins aiment à dire que c'est bien la seule chose qui reste de cette grande civilisation avant-gardiste : un appétit pour l'innovation et le profit. Dr Esclosin a justement des éléments de réponses pour ces clichés si marquants. Et c'est pour cela qu'il a été jeté en pâture aux hyènes de notre société. La satyre et la moquerie perpétuelle l'ont poussé à bout au point de se retirer la vie. C'est ce que je pensais. Et vu l'acharnement dont il a été la victime, comment ne pas y croire ? Après lecture de ces "preuves", et de ses thèses. Je pense que ce n'était pas la seule réponse. Comment vivre avec ce qu'il a découvert ? Que ce soit vrai ou non. Alors pourquoi vouloir diffuser la vérité, la sienne tout du moins, si elle est si dure à entendre ? Je pense au fond de mon cœur que c'est pour éviter que cela ne se reproduise. Qui peut savoir ?

J'ai décidé dans cet essai de vous retranscrire les "témoignages" de ces De Profundis, Mémento Mori et carnets de recherche de notre docteur. L'ordre peut vous paraître erratique mais les informations sont données petit à petit, de manière peut-être trop littéraire j'en conviens, pour que vous ayez le temps de les assimiler et de décider si vous voulez y croire ou non.

Nous suivrons sa recherche de sa vérité, ce qui l'a motivé à faire cette étude et les découvertes sporadiques au fil des ans, le tout entrecoupé des Mémento Mori fournis dans ce colis qui m'a été offert par un de ses proches. Je reviendrais sur cet épisode à la fin de cet essai. Pour l'instant, je ne peux que vous souhaiter du courage et de la patience.

Et comme l'a signé Dr Esclosin, De Profundis.

Chantez-nous un RequiemWhere stories live. Discover now