Il était assis sur un banc de bois, à l'ombre des feuilles jaunes du parc solitaire, plongé dans la contemplation des cygnes poussiéreux, les deux mains appuyées sur le pommeau d'argent de sa canne, et songeant à la mort. Il se perdait dans l'observation de ce lac cristallin, quand une jeune demoiselle entra dans son champ de vision. La tête dans les nuages, le buste bombé, elle semblait étudier longuement le paysage au alentour. Son regard se perdait parfois sur ces cygnes disharmonieux.
Il est allé à sa rencontre, chaque pas rythmé par le bruit de sa canne contre la terre. A sa hauteur, la jeune fille aux fleurs dans les cheveux se met à parler. « Ce lac est magnifique. Je me demande bien pourquoi il me semble si terne et si triste. Ce blanc m'horripile. Pas vous ? ». Les animaux blancs battent des ailes, faisant jaillir quelques gouttes translucides sur la terre humide. Il ne lui répond pas, jugeant ses paroles désagréables. Il avait passé tant d'années ici. Comment cette jeune fille pouvait-elle critiquer aussi facilement ce si bel endroit ?
- « Je m'appelle Elise et j'aime vraiment cet endroit, j'y suis attachée mais je ne sais plus pourquoi. »
- « Un amour de jeunesse ? Une tendresse passée ? Un bonheur insouciant ? »
Elise contestait, elle ne sait vraiment plus pourquoi. Elle restait pourtant là, les yeux en direction de l'infini, des heures et des journées durant. Dès que l'homme s'asseyait sur son banc, elle était là, non loin de lui, telle une forme ectoplasmique. Elle semblait être là sans être là, blanchâtre et légèrement lumineuse, effet probablement accentué par le reflet du soleil sur l'eau. Elle paraissait attendre. Le temps qui passait sûrement.
- « Que cherchez-vous réellement ? », demande le vieil homme.
Sa tête se tourne dans sa direction, quelques fleurs accrochées à sa chevelure s'envolent.
- « Où est-il ? Où est ma famille ? »
Il se met à rire, s'étouffe et tousse pendant plusieurs longues minutes. Les joues d'Elise deviennent aussi rouges que la glaise cuite. Il termine d'une voix rauque.
- « Il se trouve que je suis capable d'avoir les réponses à vos questions. Ce sera ma dernière bonne action. »
Le visage d'Elise s'illumine, cette sensation de solitude et de perte va-t-elle prendre fin? Arrivera-t-elle au bout du tunnel ? Ils restent là, en silence, face à cette étendue d'eau pendant un long moment jusqu'à que sonne l'heure de rentrer chez eux. Ils partirent chacun de leur côté, confiants de se retrouver prochainement. Elise resta pourtant constamment perplexe. Ils se croisèrent souvent durant ce laps de temps. Et elle trouvait cela bien étrange. Il ne semblait pas comme les autres. Il apparaissait à chaque coin de rue, dans les parcs, derrière la porte d'un magasin, sous un éclairage public, là où l'on s'y attendait le moins. Il était toujours là, des réponses au bout de sa canne. Il l'emmena à des expositions, dans des parcs forestiers, à des restaurants. Tout était bon pour faire sortir Elise et tenir compagnie à ce vieil homme. Ces moments échangés restaient agréables pour Elise, même si le résultat attendu n'était jamais à la hauteur de ses espérances. L'homme ne lui racontait que très peu de chose sur elle-même. L'espoir s'émiettait à vu d'œil pour Elise, son cœur se démembrait à chaque rencontre. Peut-être avait-elle rêvé, en pensant que cet homme pouvait lui expliquer pourquoi son mari avait disparu du jour au lendemain ? Etait-elle assez folle pour espérer qu'un djinn lui dévoile la réalité sur sa famille ? Pourtant, ce n'était pas le cas. Elise gardait espoir malgré toutes les tentations d'abandon. Un soir, les pas du vieil homme, accompagné de sa canne d'argent, résonnèrent en pleine rue. Pas une seule personne ne rodait dans cet endroit. Seule Elise était présente, le bruit du vieil homme faisait écho jusqu'à son propre cœur. Il allait enfin lui dire la première information utile depuis leur rencontre. Elise n'avait donc pas attendu un bon mois en vain. Elle entendait le chant d'un oiseau de nuit, quand l'homme arrivait à sa hauteur.
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Du bout des doigts
Historia Corta[FR - Oneshot] Il était assis sur un banc de bois, à l'ombre des feuilles jaunes du parc solitaire, plongé dans la contemplation des cygnes poussiéreux, les deux mains appuyées sur le pommeau d'argent de sa canne, et songeant à la mort. Il se perdai...