ɹnəɔɹıou ɐl snos əsʇəɹ lı,nb əɔ

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Il était une fois une petite fille du nom de Kayla. Elle avait une chevelure blonde, longue et ondulée comme une rivière et la peau bleue. Elle vivait seule, au fond d'une petite forêt, protégée par les animaux et les plantes qui l'aimaient d'un amour pur et absolu. Kayla était heureuse, malgré le rejet des hommes et des femmes qui l'avaient enfantée.

Ses parents l'avaient abandonnée à la nature alors qu'elle n'était qu'un nourrisson, gouvernés par leurs superstitions et par leur peur. On disait depuis longtemps dans la Vallée qu'un jour viendrait au monde un monstre à la peau couleur de saphir, doté d'un pouvoir que personne ne saurait imaginer.

Kayla se sentait chez elle dans les bois et cette distance avec les humains n'était que bénéfique pour elle. Le chant des oiseaux le matin, le vent dans ses cheveux, le craquement des branches sous ses pas, tous ces éléments la rassuraient. Finalement, au milieu de la nature, elle se sentait en sécurité.

Mais un jour, une sorcière approcha la grotte dans laquelle Kayla avait pris pour habitude de dormir. Détruisant tout sur son passage, les plantes pourrissant sous ses pieds, la lumière s'obscurcissant sous son regard, elle était l'horreur incarnée. La petite fille était si pleine de douceur et d'innocence qu'avant même de s'inquiéter, elle fut curieuse. Elle laissa l'enchanteresse entrer, lui proposa à manger et lui posa de nombreuses questions, parmi lesquelles une en particulier semblait la perturber plus que les autres, car elle insista sans relâche.
« Pourquoi la nature se meurt-elle à vos pieds ? »
Sa petite voix résonnait contre les parois de la caverne étroite mais la femme gardait le silence. Alors l'enfant arrêta de parler et l'observa avec plus d'attention. Ce fut en remarquant la laideur de la personne qu'elle avait accueillie qu'elle commença à avoir peur. Ce n'était pas une simple grossièreté des traits ; il émanait de cette vieille dame une énergie malsaine comme jamais elle n'en avait rencontrée. Ses mains commencèrent à trembler légèrement et sa respiration se fit plus rapide. L'ensorceleuse senti l'anxiété envahir la petite, c'était exactement ce qu'elle attendait. Elle profita de ce moment de faiblesse de la part de Kayla pour lui jeter un sort qui l'endormi immédiatement, la pris dans ses bras et s'en alla.

Kayla fut emmenée dans un château inconnu. C'était une demeure des plus austères, faite de façades froides et de tours lugubres. La sorcière y éduqua l'enfant. Elle lui inculqua ses valeurs. Des valeurs vicieuses, mauvaises, qui, à mesure que le temps passait, changèrent la fillette. Sa peau s'éclaircit et ses cheveux s'assombrirent, tout son être se modifia jusqu'à ce que la substance même de son âme, la douceur de son coeur, deviennent aussi hideuses que le caractère de la sorcière. Elle avait enfin l'apparence d'une fille humaine, mais son essence n'était plus que celle d'un monstre dont la bonté avait été enfouie très profondément dans sa mémoire.

On n'entendit plus le rire innocent de la gamine retentir dans la forêt. On ne vit plus le regard pétillant de cette môme autrefois si pleine de gaieté. La nature, face à cette perte, se mit à pleurer. Les arbres plièrent, les oiseaux se turent, le soleil s'en alla se cacher.

Les hommes et les femmes du village d'à côté sentirent rapidement le changement. La terre n'était plus aussi fertile, le vent soufflait avec rage sur leurs habitations, le temps n'était plus aussi doux qu'il ne l'était habituellement. Le murmure d'une ancienne prophétie fit trembler les esprits. La crainte noua peu à peu les ventres, rongeant les espoirs et avalant les sourires. Bientôt, toutes les portes se fermèrent, les échanges se raréfièrent et le malheur couvrit de son manteau obscur la Vallée autrefois si joyeuse.

Le temps passa et la petite fille grandit, de plus en plus belle à l'extérieur et laide à l'intérieur. Elle ne sortait que rarement du château, préférant savourer les buffets que les habitants des villages voisins lui offraient, essayer les robes confectionnées par les meilleurs couturiers de la région ou apprendre tout ce qu'elle pouvait grâce aux livres de la bibliothèque de la sorcière. Elle ne voyait jamais personne de près, mais elle observait souvent ceux qui, terrifiés, apportaient des cadeaux derrière les gigantesques portes de l'édifice. Toutes ces offrandes avaient pour but qu'elle leur rende le soleil qu'elle avait volé. Car tous savaient finalement, à ce jour, de quel don cette créature avait été dotée : celui d'ajuster la nature à ses émotions. Ce qu'ils ne savaient pas, c'était que la fille n'en était elle-même pas consciente, qu'elle n'avait pas la moindre idée du pouvoir qu'elle possédait.

La sorcière, elle, savait tout. La véritable raison pour laquelle elle avait enlevé cette gamine était justement la volonté qu'elle utilise ce pouvoir afin de continuer à répandre le mal quand elle ne serait plus là pour le faire elle-même. Elle vieillissait et savait que sa vie ne pourrait durer éternellement, mais avant quelle n'ait eu le temps d'enseigner la magie à Kayla, la maladie l'emporta. La jeune fille avait beau la respecter comme on se doit de respecter la personne qui nous a éduqué, elle ne l'aimait pas pour autant et ne soufra pas beaucoup de sa perte.

Quelques années s'écoulèrent encore sans que beaucoup ne change. La jeune fille devint une jeune femme à la beauté cruelle. Son coeur, toujours de plus en plus emplit d'abominable sentiments, influençait toujours le ciel qui ne se découvrait plus et le vent qui hurlait sans relâche. La Vallée, que l'on pouvait apercevoir de certaines fenêtres du château, était toujours indéniablement plongée dans un insupportable sentiment de désespoir et personne n'avait le courage d'essayer de changer les choses. Dans ce village, on enseignait aux enfants qu'un monstre les observait constamment et qu'ils devaient être prudents à tout moment. On leur enseignait l'angoisse perpétuelle qui ne les quitterait jamais. Mais dans ce nouveau quotidien si sombre, une lumière commençait à briller, à l'insu de tous. C'était une jeune femme à la chevelure d'un rouge flamboyant et au caractère tout aussi ardent nommée Fajrae, qui préparait un plan en cachète.

Une nuit, la jeune femme rousse disparu. Personne ne savait ce qu'il était advenu d'elle, mais tous s'accordaient à dire qu'elle était très mystérieuse et pourrait bien être en train de leur jouer un tour. La vérité était que les signes d'inquiétude se faisaient discrets parce qu'on n'osait pas avouer la peur qui grandissait.

Le plan de Fajrae était enfin prêt et elle allait le mettre à l'oeuvre. Elle était convaincue qu'elle réussirait à le mener à bien. Elle était convaincue d'être capable de ramener la chaleur à cette terre qu'elle chérissait tant.

Elle était partie à cheval et, après quelques heures de voyage, elle arriva aux galops devant les lourdes portes que personne n'avait encore franchies. Elle descendit de sa monture et avança à pas lents. La porte s'ouvrît au moment où elle s'apprêtait à frapper. Kayla se tenait là, vêtue d'une simple robe noire qui lui laissait les épaules dénudées. Elle se mouvait avec une grâce remarquable. Mais ce qui frappa vraiment Fajrae furent ses yeux où brillait une lueur sauvage. A l'instant où leurs regards se croisèrent, elle sut que jamais elle ne pourrait entreprendre ce qu'elle avait prévu de faire.

Kayla se tourna soudain et disparu dans un long couloir illuminé par des chandelles. La porte laissée ouverte invitait Fajrae à la suivre, ce qu'elle fit, le coeur battant à tout rompre. Elle arriva dans un grand salon aussi froid que le reste du château. Seule la présence de la jeune femme en face d'elle emplissait ce lieu de vie. Kayla dégageait une force impérieuse, mais Fajrae ne voulait pas détourner les yeux. Elle dévisagea longtemps celle qu'on appelait le monstre sans y voir ce qu'elle aurait dû. Elle n'arrivait pas à croire que cette personne en face d'elle pouvait être aussi mauvaise qu'on le disait. Pourtant elle l'était. Quand elle avait aperçu cette femme rousse pleine d'une ambition à toute épreuve, Kayla n'avait pu réprimer l'envie de la faire payer pour ce dérangement. Mais quelque chose tout au fond d'elle, quelque chose qu'elle croyait éteint depuis des années c'était réveillé et cela faisait si longtemps que rien n'avait changé dans son coeur, si longtemps que la noirceur y prenait toute la place, qu'une émotion inattendue était impossible à ignorer.

Les deux jeunes femmes restèrent face à face un moment, à seulement se dévisager. Puis, sans que rien de visible ne semble mener à cet instant mais parce que tout devenait enfin clair dans leurs esprits, Fajrae pris Kayla par la taille et la fit danser. Le regard de cette dernière se fit plus éclatant que jamais. Elles virevoltèrent avec légèreté tandis que la peau et les cheveux de Kayla reprenaient peu à peu leur teinte d'origine. Fajrae n'eu pas peur, elle savait maintenant que ce bleu était symbole de liberté et non de tyrannie. Dehors, les arbres se redressèrent et le vent soupira doucement. Les oiseaux emplirent le silence de joyeuses mélodies, sur lesquelles les pas des deux jeunes femmes s'accordèrent.

Quand finalement, essoufflées, elles s'arrêtèrent de danser, ce fut pour enfin laisser le soleil si attendu illuminer leur baiser.

Elles vécurent heureuses pour toujours et adoptèrent beaucoup d'enfants. ;)

[ 23-24 décembre 2019 ]

❝ ce qu'il reste sous la noirceur ❞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant