5. A la mémoire de Tantie Josie

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Vendeuse d'alloco [13] dans son quartier, Tantie Josie s'est toujours jurée que ses enfants auront tout ce dont ils ont besoin et non tout ce qu'ils voudront pour réussir. Elle s'est promise qu'eux, ne passeront pas par là où elle, elle est passée. Qu'ils auront une meilleure vie, loin de ce pays maudit que Dieu et les ancêtres ont complètement abandonné à la merci de pantins et de multinationales occidentales.

Tantie Josie était une femme que les contemporains décriraient comme très sévère avec ses enfants. A seize heures quarante, si Ingrid, sa fille aînée n'était pas passée devant son comptoir pour rentrer à la maison, elle fermait boutique, attrapait une spatule et partait à sa recherche pour lui régler son compte et la ramener de force. Elle avait tellement peur qu'un de ces hommes pervers, qui lui faisaient tout le temps remarquer que sa fille avait grandi et était devenue une belle femme, ne lui fasse subir ce qu'un de ses oncles maternels lui a fait subir. Et son fils chéri, Ulrich, qu'elle a tant désiré, sous la pression de sa belle famille qui lui demandait un garçon pour l'héritage. Quel héritage même? Son mari, Serge, n'a rien construit de son vivant et avait en tout et pour tout une petite plantation de manioc comme patrimoine et un petit bétail, en plus de la maison familiale dans son village. Mais tonton Serge était charismatique et surtout très beau. Cet homme n'a jamais eu de véritable travail stable dans sa vie. Pourtant, chaque jour, il rentrait ivre et passait à tabac sa femme pour rien. Par exemple, parce qu'elle n'avait pas mis de dessous de table sous son assiette. "Josie, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter une femme aussi bête et idiote, en plus d'être sale comme un porc". Josiane se fondait en excuse, de peur que celui-ci n'aille se plaindre auprès de ses proches et qu'elle ne devienne la honte de sa famille. Tantie Josie a certainement reçu plus de gifles que de caresses mais, elle s'est toujours dite que le mariage c'était ça.

A la mort de son mari, il faut le dire honnêtement, Tantie Josie s'est sentie à la fois libérée et désemparée parce qu'elle avait développé le syndrome de Stockholm vis-à-vis de son tortionnaire qui était soudain devenu son pilier, son moabi, son baobab. Elle a porté sa robe de veuvage trois ans durant. Tant d'hommes ont essayé de la courtiser malgré son apparence négligée mais Josiane avait perdu tout goût aux plaisirs charnels. Mais surtout, Tantie Josie s'est découverte des ressources et une force qu'elle ne se connaissait pas. C'est à ce moment qu'elle s'est dite que si sa vie avait été sacrifiée, ça ne devait pas être le cas pour ses bébés. Qu'avait-elle réussit dans sa vie si ce n'était ses magnifiques enfants? Il était hors de question que sa fille, Ingrid ait le même parcours qu'elle et que son fils, Ulrich, ne devienne comme son père.

Ainsi, cette femme issue d'un milieu très modeste, partie en mariage trop tôt, et qui ne savait ni lire, ni écrire a sacrifié tout ce qu'elle avait pour que ses enfants aient un avenir meilleur. Elle a donc passé des jours et des nuits à l'ambassade de France pendant six ans, payant des "Bakchich" [14] de gauche à droite pour que ses poussins arrivent au pays des blancs. Tantie Josie a battu le record du nombre de tontines qu'une seule personne peut faire pour réunir les fonds. Après avoir été la "bonne" pendant longtemps chez les riches, elle a tiré son tabouret, une casserole et s'est mise à vendre des bananes plantains frites au carrefour le plus proche. Cela lui permettait de gérer son commerce tout en gardant un œil sur ses enfants.

Puis un jour, ses efforts ont payé. Ces enfants ont eu le visa et pouvaient rejoindre sa sœur en banlieue parisienne. Quel soulagement! Le plus difficile a sans doute été de préparer le voyage sans en parler à personne. Au pays, selon la superstition, des personnes mal intentionnées peuvent tout faire capoter jusqu'à la dernière minute. C'est seulement une fois arrivé à destination qu'on informe l'entourage de notre départ. Tantie Josie a donc pris sur elle pour ne rien laisser paraître et pour organiser le voyage de ses enfants jusqu'à les mettre dans l'avion.

Lorsqu'elle a su qu'ils ont embarqué, Tantie José a poussé un cri de joie et a coulé des larmes. Elle ne les reverrait pas de sitôt mais au moins, ils auraient un avenir meilleur. Son corps s'est soudainement mis à exprimer tous les maux qu'elle avait contenus toutes ces années pour tenir son commerce et rester forte devant ses enfants. Malheureusement, elle, qui avait investi jusqu'au dernier centime pour ce voyage, ne pouvait solliciter personne. En effet, en apprenant le départ de ses enfants pour Mbeng, beaucoup l'ont vécu comme une trahison et se sont mis en tête qu'elle désormais une femme qui avaient des "moyens".  Josiane KOUSSO est ainsi morte seule, mais en paix, avec l'assurance d'avoir mis ses petits à l'abri. Elle était loin de se douter du calvaire que sa propre sœur leur ferait vivre en Europe. 

Faute de moyens pour se payer les billets d'avion, Ingrid et Ulrich n'ont jamais pu assister aux funérailles de leur mère. Un traumatisme qui les a marqués à tout jamais.  Aujourd'hui encore pour Ulrich, savoir que sa mère est morte faute de moyens financiers pour avoir des soins adaptés, et côtoyer tout ce beau monde qui aurait pu tout changer pour elle, provoque un sentiment de colère.

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[13] Frites de bananes plantain

[14] Pourboire, pot-de-vin.

Les Mbenguistes.Where stories live. Discover now