une collision

19 4 0
                                    

Les bras posés sur les genoux du garçon assis en face d'elle, elle dodelina de la tête.
« Mais toi...pourquoi tu penses qu'on est là? »
Il devait l'avoir mal comprise parce qu'elle répéta.
« Oui...pourquoi est-ce qu'on est tous ici, nous, à faire semblant de s'amuser, les corps un peu trop collés, sous des lumières artificielles? Les gens dansant dans un mélange d'excitation et du sueur, nageant dans une odeur de renfermé et d'alcool, pourquoi? Pourquoi est-ce qu'on fait ça? »
Il se gratta la nuque, mal à l'aise. Il réfléchissait à la manière dont il allait formuler sa réponse.
« Eh bien...tu vois, je pense qu'on vient ici pour se heurter à d'autres personnes. Pas au sens propre, mais pour que nos vies se croisent. Je pense qu'on suit tous une orbite, et certaines failles, comme un verre trop rempli, une bousculade, un regard, contribuent à nos collisions. Le destin fait en sorte qu'on se brise contre certaines personnes. Ces collisions peuvent provoquer des choses magnifiques, immenses. Ou rien du tout. (Il sourit.) Ton boulanger, vos collisions, quotidiennement, quand tu vas acheter ton pain. Vos échanges, aussi futiles et rapides qu'ils soient, ils existent. Ils n'ont peut-être aucune importance. Mais ils ont lieu. Certaines orbites ne sont jamais vouées à se rencontrer.
-Alors tu penses qu'un dialogue, un regard échangé, ce sont des collisions entre astéroïdes? »
Elle rit doucement. Elle devrait arrêter de lui poser des questions. Mais elle l'aimait bien. Sa façon de voir les choses, sa façon de pencher sa tête quand il lui exposait sa philosophie, quand il lui répondait.
Il acquiesça.
« Les gens que tu croises dans la rue, sans prendre la peine de les regarder, vos orbites se frôlent. Mais le passant auquel tu vas sourire, là, vous vous heurtez. Le destin vous met sur la route l'un de l'autre.
-Tu penses que c'est grâce au destin....qu'on soit en train de parler dans un couloir mal éclairé, au beau milieu d'un fête, alors qu'on vient à peine de se rencontrer, que je me livre à toi alors que tu n'es qu'un inconnu? »
Elle se mordit l'intérieur de la joue.
« J'en suis sûr. Toutes les petites coïncidences de notre quotidien, c'est le destin. »
Il lui sourit, et plongea ses yeux verts dans les yeux noisettes de la fille. Cette fille, elle était différente. Elle l'écoutait. Vraiment.
« Et tu ne penses pas que réfléchir à une chose aussi vague et immense, c'est être trop ambitieux? C'est impressionnant, lorsqu'on y pense plus de deux minutes. Tout ce que la vie met sur notre chemin pour qu'on se construise. Le hasard. Le destin. Appelle-le comme tu veux. »
Il ne répondit pas. Bien sûr que c'était ambitieux.

Collisions Où les histoires vivent. Découvrez maintenant