Collisions

anxiété

Un dérapage. Un accident. L'hôpital. Une chambre blanche et impersonnelle.

« On se voit au Paradis, hein! »
C'est le garçon dans le lit d'hôpital à côté de lui qui a lancé ça d'une voix rauque.
« Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre?
-Ils m'ont déplacé pendant que je dormais. Je crois qu'ils ont cru qu'on était potes.
-Ah. Je crois pas que tu croies qu'ils ont cru qu'on était potes. Je crois que tu crois que je crois qu'ils ont cru qu'ils étaient potes. Merde. Je me suis trompé. »
Il sourit.
« Moi je crois que tu crois qu'on devrait être potes.
-Alors on est potes?
-Faut croire. »
Des rires.
« Moi, c'est Kyle, dit le jeune métisse qui lui a adressé la parole.
-Enchanté. Matthew.
-Wah, Matthew, c'est classe.
-Ouais. Pas moi qui ai choisi. Si j'avais pu, j'aurais pris Alec ou un truc un peu plus actuel. Mais Matthew....»
Un silence uniquement brisé par les bruits répétitifs des machines auxquels ils étaient attachés.
« Donc toi tu crois au Paradis? Les anges et tout le tralalala?
-Bah, j'ai dis ca comme ça. J'y ai jamais vraiment pensé, au fond. Il me fallait un accident de voiture pour que je m'y mette.
-Mais alors tu penses qu'il y a quelque chose après? »
Le garçon respira profondément par les narines avant d'entamer sa réponse.
« Peut être que j'ai envie de m'imaginer ça et d'y croire parce que j'ai peur de ce qui vient après. J'ai peut-être peur du rien, du vide. J'ai peur que mon existence s'arrête, d'un coup, et j'ai envie de croire que ma conscience survivra, parce que je ne sais pas ce que c'est que de ne plus être rien, tu vois? »

Un silence.

« Moi je sais ce que c'est. Que d'être rien. Deux mois et demi de coma. C'est suffisant.
-Suffisant pour quoi?
-Pour te rendre compte au réveil de l'omniprésence de ta conscience et du poids de celle-ci. Elle est là, dans ta tête, comme une évidence.
-Mais c'est une évidence.
-JE SAIS! »
Des larmes.
« Elle est là, tout le temps là, je ne peux pas m'en passer, tu vois. Cette voix, dans ma tête, elle me guette. Elle me surveille. Elle connait mes faiblesses. Et-et certaines fois j'ai juste envie que ça s'arrête tu vois, que cette voix, elle parte, elle s'en aille, que je n'aie plus à penser à rien.

-Cet accident, c'était voulu. »

Matthew, à cette affirmation, se releva à demi sur son lit, entouré de fils et de cables. Il fixait de ses yeux clairs nimbés de rouge le mur immaculé en face de lui. Et il repris, d'une voix entrecoupée de sanglots:

«Certaines fois j'ai juste envie que ca s'arrête tu vois, que cette voix, elle parte, elle s'en aille, que je n'aie plus à penser à rien. Que ce soit le vide. Le néant. Dans mon esprit. Qu'il n'y ait plus rien. Qu'elle me laisse enfin tranquille.»

Il se tourna vers Kyle.

«Qu'elle me laisse au moins une minute de répit. (Il leva un doigt.) Une minute.»

Lyle se racla la gorge.
«Ça va le faire mec. T'inquiète. Je suis là. Et franchement, ce que tu viens de me raconter, là, c'est pas rien. Mec, tu mérites tellement de vivre. Ta facon de penser, tout ca, tu peux aider des gens. Et t'aider toi-même. Je connais un peu ce que tu vis, j'en ai entendu parler, parce que c'est une maladie un peu hors du commun. Je m'en fou. T'es malade, je t'aide. C'est comme ca que ca marche entre potes, nan? Mec, on est tous les deux à l'hôpital, à demi-morts, on va bien se battre un petit peu. On le fera ensemble.»