La photo

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J'ai trouvé une vieille photo dans un petit coffret dans le grenier de ma tante. Je n'avais fait attention à ce coffret auparavant, pourtant je jouais souvent dans son grenier.  C'est à l'occasion d'une partie de cache-cache avec les enfants de ma sœur que je l'aperçus. Ce petit coffret était sur un confiturier en hêtre qui servait autrefois à ranger...les confitures.

Le petit coffret était lui en acajou, aussi long que mon avant-bras, ciselé finement formant des arabesques et des fleurs magnifiques à sa surface.  Il n'était que légèrement abimé par les affres du temps, le vernis brillant toujours.  Il s'ouvrait grâce à un fermoir doré, un peu terne. Un mot semblait également gravé mais il était illisible, étrange par rapport à la conservation de la boîte. Je l'ouvris alors, occultant que je devais me cacher au départ, mu par une curiosité dévorante et incontrôlable et y découvris des dizaines de photos. 

Les photos étaient en noir et blanc, certaines étaient floues. Je parcourus ces photos d'un œil intrigué et compris qu'elles appartenaient à ma tante. On y voyait différents membres de la famille: mes grands-parents paternels, mon père, elle, des oncles et tantes à eux, des cousins, des amis, des membres éloignés, etc. Sur certaines elle semblait très jeune; plus jeune que les enfants présents pour ce repas de famille, sur d'autres elle était adolescente, jeune adulte, etc. Je me disais alors que ce serait une bonne surprise de lui apporter ces photos jusqu'à tomber sur celle-ci. 

Il s'agissait d'une très vieille photo, sûrement datant de l'époque de mes grands-parents. Il n'y avait qu'une seule personne sur la photo. Elle semblait plutôt jeune, moins de dix ans, avec des cheveux mi-longs, que je devinai blonds sur la photo. Elle portait un pantalon et un pull, indiquant qu'il s'agissait d'un garçon vu l'époque. Le seul objet pouvant l'identifier était une chaine avec une toute petite pierre et la médaille d'un saint quelconque mais n'étant pas très renseigné et la photo n'étant pas de bonne qualité,  je ne pus être plus précis. Cependant elle me fit l'effet d'un électrochoc: je connaissais cette personne.

J'abandonnai alors ma partie de cache-cache pour aller questionner ma tante à ce sujet. Elle se trouvait dans la cuisine encombrée de la vaisselle sale du repas, s'affairant à préparer thé et café. Tout d'abord elle sembla agréablement surprise de me voir, pensant sûrement que je venais lui donner un coup de main, cependant elle déchanta bien vite. Quand je lui montrai la photo en lui demandant qui était cette personne, ma tante Jeanne d'habitude si calme, sursauta comme si elle venait de voir un revenant et devint très pâle. Elle s'assit sur une chaise proche et prononça dans un souffle, si bas que je crus le rêver:

"Tu peux donc le voir ?"

Interloqué, je la dévisageai, ne comprenant pas le sens de sa question.  Elle m'expliqua alors d'une voix blanche que je ne lui connaissais pas:

"Il s'agit de Jean. C'était le frère jumeau de ma mère, cependant il est décédé à l'âge de neuf ans...de la coqueluche il me semble. Je l'ai rencontré pour la première fois le jour de mon quatrième anniversaire. Nous avons joué ensemble un nombre incalculable de fois. Puis un soir, la veille de mon neuvième anniversaire, il est venu me voir en pleurant, m'a expliqué qu'il allait disparaître et que j'allais l'oublier. Énervée, le lui ai dit que jamais je ne l'oublierai et qu'on allait même faire une photo pour en être sûr. J'ai alors emprunté l'appareil photo de mon père, l'ai emmené au grenier et pris la photo de Jean. La lune était pleine et illuminait la pièce. J'ai récupéré la photo et relevé la tête pour voir Jean, mais il disparaissait déjà. J'ai éclaté en sanglot tandis qu'il me disait qu'il reviendrait un jour et qu'il serait toujours là. 

Mon père est entré dans la pièce surpris et légèrement en colère que j'eus pris l'appareil sans autorisation, que c'était précieux, que j'aurais pu le casser. Je lui ai dit que c'est parce que je devais prendre une photo de Jean avant qu'il s'en aille. Il a paru perdu un instant, voir peut-être mal à l'aise, puis m'a répondu en souriant. Il m'a dit que c'était mon ami imaginaire. Je me suis insurgée en criant qu'il n'était pas imaginaire et que j'en avais la preuve ! Je lui ai tendu la photo. Il pris cet air qu'on utilise quand les enfants disent des choses insensées mais qu'on ne veut pas les blesser et m'a dit que c'était seulement le grenier. J'étais en colère mais aussi je ne comprenais pas qu'il ne puisse pas le voir. 

Je n'ai pas plus argumenté et remisé cette histoire, ces années et Jean au fond de ma mémoire et du grenier. "

Après cette tirade j'étais sans voix. Cependant j'eus la force de poser une question:

"Mais comment tu sais que c'est Jean ? Je veux dire tu ne l'as pas connu...En chair et en os je veux dire...

-Ma mère possédait une photo de lui qui à l'époque était encadré sur sa table de chevet...Et toi ? Tu l'as déjà vu ? Avant aujourd'hui ? " Me demanda-t-elle, d'un air me faisant me questionner sur si elle voulait vraiment savoir.

Je finis par déglutir et répondre:

"Je l'ai aussi connu. A chaque fois que je venais ici je le voyais. On jouait souvent ensemble...Et une fois que j'ai eu neuf ans je ne l'ai plus revu. Je me souviens que les parents pensaient que c'était un ami imaginaire et, moi-même, j'ai fini par m'en convaincre avec les années...Apparemment il n'était pas un simple ami imaginaire. Mais comment ça se fait ? Pourquoi on est les seuls à l'avoir vu ? Je veux dire, s'il apparait aux enfants ce serait logique que papa, ma sœur ou ses enfants aient pu le voir non ?

-Je suppose qu'il est lié à cette maison, commença tante Jeanne, mais je pense aussi que ça un lien à ce que l'on porte...

-Que veux tu dire par là ? questionnai-je, me demandant ce qu'elle voulait dire par là. 

-La chaine que tu portes."

Je regardai alors la chaine dorée autour de mon cou, il semblait s'agir d'une sorte de tradition du côté paternel car quasiment tout le monde possédait une chaine avec sa pierre de naissance et les breloques qui lui plaisait. La mienne possédait un péridot et une médaille avec mon signe astrologique. Déconcerté, je repris:

"Bah ma chaine c'est juste une chaine, qu'est ce que ça..."

Je ne pus finir ma phrase, ma tante sortant au même moment la chaine sous sa chemise. Plusieurs petites médailles s'y balançaient mais ce qui attira mon attention fut l'éclat verdoyant du péridot. 

"Tu viens de comprendre on dirait, déclara-t-elle avec un vague sourire flottant sur ses lèvres, sur la photo Jean aussi possédait une chaine. Et lui aussi est né en août.

-Donc en gros que tu me racontes que toutes les personnes nées en août et possédant un péridot sont liés à lui ?

-Je pencherais plutôt pour les gens de notre famille seulement. Enfin bref maintenant tu veux bien m'aider avec les boissons ? Elles vont finir par refroidir.

-Mais ? Et pour l'inscription gravée sur la boite ? Et, est-ce qu'il est toujours là, à attendre que quelqu'un vienne jouer avec lui ? Et puis...

-Laissons cette histoire dans la cuisine tu veux bien ? Je ne m'inquiète pas pour Jean, il semblerait qu'il ait de la compagnie à chaque nouvelle génération et puis...Je lui donne des nouvelles."

Ma tante finit ainsi clôt ainsi la conversation -pour le moment du moins- et, en apportant les boissons, je vis mon neveu Nathan qui semblait se diriger vers le grenier, un éclat vert scintillant sur son t-shirt. Jean n'avait pas fini de s'amuser apparemment.


Recueil d'histoires courtesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant