Je suis debout sur ce pont qui surplombe la Seine. Je reste là, perdue dans mes pensées, et je remonte le fil de mes souvenirs.Je regarde le ciel gris et couvert qui reflète avec exactitude la profonde morosité de la vie, ou plus précisément de ma vie. Chaque heure, chaque minute, et chaque seconde qui passent, semblent chaque jour identiques et de plus en plus longues, toujours animées par les souffrances et les pleurs du quotidien.
Je ne parviens même plus à me souvenir de la dernière fois où j'ai souri, comme si la souffrance et l'ennui étaient les seuls éléments qui illuminent ma misérable existence. Le sang, les cris, les larmes ... le sang, les cris et les larmes pour seule compagnie : mon sang, mes cris, mes larmes.
Je pense à ma mère, qui est partie, un matin, dans les bras d'un autre homme que mon père, et qui nous a abandonnés pour une autre vie, une autre famille. Elle a eu des enfants : des enfants qu'elle aime, j'espère, plus qu'elle ne nous a jamais aimés, des enfants qui découvriront sûrement un jour, à quel point le monde est cruel, et que leur mère n'est pas celle qu'ils croient.
Je pense, ensuite, à mon père, qui fou amoureux d'elle, s'est retrouvé piégé entre les griffes du désespoir, quand il a sût qu'elle ne reviendrait jamais. Je l'imagine le teint livide, encore une bouteille à la main pour oublier. Je le vois chez nous, mais l'esprit ailleurs, le regard vide, dépourvu de toute émotion. Il ne sourit plus, il ne pleure plus, il ne ressent plus rien à part l'irrésistible envie de boire, encore et encore. Il respire toujours, pourtant il ne vit déjà plus vraiment ; son cœur qui regorgeait autrefois d'amour et de bonté, ne bat aujourd'hui que pour l'alcool. Il ne sort plus, il ne dort plus, il mange très peu et mal. Je crois qu'il a oublié le sens même du terme « vivre » ; il ne reconnait ni ses enfants, ni ses amis, ni ses collègues ; il a même laissé s'évaporer jusqu'à sa propre existence.
Puis, je songe à elle, elle qui fut ma meilleure amie, elle qui me faisait rire, pleurer parfois, elle qui m'aidait quand j'allais mal, elle qui m'avait promis l'amitié pour la vie. Je ne sais pas et je ne saurais peut-être jamais, pourquoi, pourquoi elle a subitement changé de côté, pourquoi du jour au lendemain, elle m'a haï de toute son âme, pourquoi depuis quelques mois, elle me harcèle sans cesse. Je subi, tous les jours, ses coups, ses moqueries, et ses insultes, sans broncher, car je veux son bonheur, et si son bonheur est de me faire souffrir, soit. De toute façon, je suis nulle, ingrate, égoïste, hautaine, moche, grosse ... que des défauts quoi. Je comprends pourquoi elle me déteste autant.
Enfin, mes pensées s'envolent vers le souvenir de mon frère. Nous étions très proches. Il me rappelait toujours de me contenter de ce que la vie nous offre, pourtant c'est cette vie qui lui a enlevé la sienne. Il me disait qu'il serait toujours là pour moi, mais il s'est envolé plus haut que les oiseaux, pour rejoindre un autre monde, où tout est certainement bien plus beau que dans celui-ci. Je lui en veux d'avoir succombé à cette foutue maladie, même si je sais que ce n'est en aucun cas sa faute. J'ai eu beau prier pour lui, rien à faire, j'ai maintenant compris que mon bonheur n'a aucune importance pour le Souverain des Cieux.
Puis, je pense à moi, à la personne que j'étais et à celle que je suis devenue aujourd'hui. Je revois cette fillette, insouciante, qui regardait le monde d'en bas, qui rêvait grand, et qui ignorait à quel point la vie est injuste et cruelle. Je ferais tout pour revenir quelques années en arrière, et ainsi sourire à nouveau, mais l'enfant que j'étais, n'est plus. Je pense aux larmes que je verse à longueur de temps ; le feu qui brûlait jadis en moi, s'est éteint depuis longtemps. Je me vois, m'effondrant sur le sol, incapable de tenir debout. Je regarde alors les cicatrices sur mes poignets : le résultat d'une lame qui déchire chaque jour avec plus de puissance, ma peau. C'est étonnant que le fait de se faire souffrir physiquement, puisse faire autant de bien. La douleur est tellement forte à l'extérieur, qu'on en oublie pendant quelques instants celle qui nous ronge de l'intérieur. J'ai du mal à me l'avouer, cependant je ne peux me cacher, que le fait de savoir que mes coupures sont toujours là, me rassure, comme si elles étaient une partie même de moi.
Si je suis sur ce pont, ce n'est pas pour rien : je dois faire un choix, celui de rester peupler ce monde ou celui de m'envoler vers un autre. Tournent les heures et passent les minutes ; la nuit tombe, et les passants se font de plus en plus rares, pourtant je n'ai toujours pas choisi. Je veux mourir, mais le peu d'espoir qui brûle encore en moi me crie de vivre. Alors, je me remémore tous les souvenirs heureux : les moments que j'ai passés avec mon frère, mon ancienne meilleure amie, et mes parents. Je sais que la roue a tourné, qu'elle est passée du bonheur à l'obscurité totale, mais pourquoi ne pourrait-elle pas changer à nouveau ? Peut-être que l'avenir me réservera des jours plus heureux ... ou pas, il me suffit peut-être d'y croire.
J'ai pris ma décision : je vais vivre.
V - I - V - R - E
VIVRE
Je sais que ça ne sera pas facile, mais je peux le faire, je dois le faire, pour le peu de personnes que j'aime et qui m'aiment en retour. Je me relève, les yeux brillants d'une flamme nouvelle : un mélange d'espoir et de détermination. Je marche sous le ciel étoilé, et pour la première fois depuis des mois, j'esquisse un sourire.
~ FIN ~
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Petites Histoires POUR Grandes Inspirations
RandomRecueil de petites histoires que j'écrirai quand une lueur d'inspiration brillera dans mon esprit. Bonne lecture !