Ce Bleu- [five Shots - BTS]

Partie 2 - De vide et d'ancien

Musique : 

Pumped Up Kicks - Torches

On My Own - Whitney

Shrike - Hozier

Alors Namjoon ouvrit les yeux. Lentement, avec précaution. Les images furent d'abord des ombres, puis des traits et enfin le plafond de bois sombre se dessina sous ses yeux encore emplis de sable.

Un clignement de paupières.

Son rêve se dissipa un peu.

Un rire étouffé derrière lui.

Namjoon avait tout oublié.

Il ne se souvenait de rien. Ni de la chambre sur l'orbite de Neptune, ni du plafond qui tombait en poussière, ni des étoiles alignées, ni même du garçon qui souriait. Il prit une profonde inspiration et ce fut comme si son corps n'avait pas respiré depuis des semaines. L'air qui pénétra dans ses bronches le brûla légèrement et le fit tousser. La réalité reprenait vraisemblablement ses droits, comme un vieux chat ronronnant sur les genoux d'un grand-père. Le vrai monde s'étirait paresseusement autour du rêveur, presque dans la même position que lorsqu'il l'avait quitté. Seule la lumière déclinante à travers les fenêtres de la cuisine lui indiquait que le temps avait filé sur son sommeil. À voir les lueurs mordorées qui faisaient scintiller la poussière dans l'air, le soleil avait déjà bien entamé sa descente.

Cette petite sieste digestive, comme elle aurait dû l'être à l'origine, s'était transformée en un semi coma, faisant se désintégrer l'après-midi dans le néant du cosmos. Et Namjoon n'aimait pas cela.

Il soupira en gigotant doucement sur le sofa inconfortable. Il détestait quand ses médicaments pour la migraine lui atomisaient la cervelle au point que la seule activité envisageable restait l'inertie la plus totale. Il arrivait parfois à dépasser cet état de somnolence, lorsqu'il devait travailler, ou bien se rendre chez sa belle famille ; mais depuis qu'il était arrivé ici, jamais il n'avait réussi à trouver la motivation nécessaire. Ni le premier soir, lorsqu'il avait mis sa fatigue sur le compte du voyage, ni le deuxième jour où il avait invoqué cette fois l'effet du décalage horaire, ni ce midi. Et il avait été bien embêté quand sept paires d'yeux un peu inquiets s'étaient posés sur sa carcasse trainassante, car aucune excuse ne lui était venue pour expliquer qu'il fasse encore une fois faux bon à tout le monde. Il avait juste marmonné qu'il lui fallait une petite sieste réparatrice, avant de se laisser presque tomber sur le canapé du salon en soupirant bruyamment.

Et le voilà finalement qui émergeait à peine, quand du fond de sa poitrine serrée, son cœur lui hurlait que le temps manquait depuis qu'il était arrivé, et qu'il fallait tout faire, tout voir, tout dire avant de ne plus pouvoir. Une semaine, c'est tout ce qu'il avait. Mais son cœur n'avait semblait-il aucune emprise sur son corps qui persistait à se mouvoir avec la lenteur d'une planète déviant de son orbite.

Alors, avec cette même étrange lenteur, presque maladive, Namjoon se redressa. Il laissa d'abord tomber sa jambe droite contre le parquet ciré, puis glissa la gauche à sa suite. Dans une expiration, il redressa finalement son buste, mais pour économiser les efforts, il laissa le soin au dossier du canapé de maintenir son dos douloureux.

Il profita de cette position pour tenter de rassembler ses idées et d'analyser le décor autour de lui. Le soleil en rase-motte atténuait l'explosion de couleurs qui composaient habituellement le grand salon des Collins. Le bleu canard des murs était plus terne, sauf aux endroits où de grosses tâches de couchant lui donnaient des tons plus chauds. Le bric-à-brac de cette pièce, en revanche, n'était pas moins étouffant dans la lumière de fin d'après-midi : masques africains, tentures indiennes, plantes qui pendaient du plafond, les tapis épais et colorés qui recouvraient presque entièrement le plancher froid, les bibelots partout, et cet étonnant mur de miroirs qui vous renvoyait votre reflet sous toutes les coutures, impossible de s'échapper... C'était comme si toutes les civilisations se croisaient dans ce salon, une petite planète en rotation, avec ses peuples et ses âmes. Ces vérités auxquelles on ne pouvaient pas échapper.