Prologue (Partie 3)

13 0 0
                                    

C'était comme un trou noir permanent logé dans sa tête. Lorsqu'il y réfléchissait trop intensément, il lui semblait qu'une scie venait séparer son cerveau en deux. Cependant il se souvenait l'avoir eu en sa possession.

 C'était une étrange fiole de verre qui contenait un liquide verdâtre, qui l'avait dégoûté au premier abord et pourtant lorsqu'il l'avait regardée un temps plus prolongé, lorsque ses yeux s'étaient perdus dans le liquide sombre et pâteux, une délicieuse odeur de chapon aux châtaignes étaient apparue. Des effluves plus délicieuses que jamais l'avaient plongé dans une transe de bien être et de joie, qu'il n'aurait voulu, pour rien au monde arrêter.

 S'il se souvenait bien, c'était sa femme qui l'avait ramené à la réalité. C'était ainsi qu'il avait goûté pour la première fois au charme de la potion. Un enchantement, disait sa femme, un horrible et puissant enchantement, tel qu'il ne devait en exister que deux ou trois en ce bas monde. Il était si fort qu'il n'avait eu point besoin d'y goûter pour être affecté. En y repensant, il en frissonnait encore, se demandant s'il aurait pu sortir de cette transe, sans intervention extérieure.

Pierre de Feuille lui raconta tout. Son unique souvenir de la fiole. Sa femme qui l'avait sorti de cet enchantement. Et son trou de mémoire par la suite. Il devait l'avoir cachée quelque part, comme sa femme lui avait demandé expressément de faire lorsqu'il l'avait eu sa possession. Il regrettait pour la première fois que tout ceci soit resté flou, car l'homme en face de lui, ne semblait pas satisfait. Ils s'étaient assis chacun sur une pierre et l'autre avait sorti une canne à sucre qu'il mastiquait nerveusement. Ses yeux s'étaient rétrécis au fur et à mesure que Pierre de Feuille avait parlé, jusqu'à devenir deux fentes lui donnant un air grave et suspicieux.

« Vous ne semblez pas me croire. C'est vrai que c'est un peu tiré par les cheveux, que cet oubli tombe à pic dans ma situation. Ha si seulement je savais où se trouvait cette fichue fiole, je vous l'aurais dit directement. Vous seriez parti et j'aurais pu continuer ma vie paisiblement déclare dépité Pierre de Feuille ».

« Oui je reste perplexe. Car voyez-vous, beaucoup d'éléments ne coincident pas. Mais déjà, expliquez-moi, comment l'avez-vous vous eue en votre possession? »

« Je...je ne me souviens plus de cela non plus. Déclara-t-il résigné. A l'époque, je m'étais posé énormément de questions sur cet étrange événement. J'étais même parti à Kellios, dans le sud, rechercher des informations sur cet étrange fiole et sur qui aurait pu l'avoir eu en sa possession avant moi. Car voyez-vous, je suis sûre d'une chose, c'est quelqu'un de très riche qui me l'a donnée ».

« Pourquoi cette affirmation ? » Demanda-t-il, en se redressant, soudainement curieux.

« Lorsque je me suis rendu compte que j'avais la fiole, elle était accompagnée d'une grosse somme d'argent. Un peu plus de 10 000 lovis. J'ai halluciné et me suis précipité chez moi, bien trop heureux de cette chance inespérée. Nous étions assez pauvres. Cela nous a permis de rénover la maison et... »

« Mais ça veut dire que quelqu'un vous a payé pour garder cette fiole! » S'exclame l'inconnu, un grand sourire aux lèvres.

Pierre de Feuille sursauta. Il n'aurait jamais cru voir ce roublard aussi enjoué. Il le regardait qui, désormais, marmonnait, préparant sans doute des plans pour retrouver cette fiole. Puis subitement, l'individu frappa son poing dans sa paume de main et releva la tête, le regard illuminé d'espoir. Il le regarda et lui demanda la chose la plus absurde et illogique qu'il n'ait jamais entendu depuis lors :

« Et si la fiole était encore chez vous? »

« Impossible. Ça serait simplet et stupide de la cacher ici, si mon intention première était de m'en débarrasser. Il faut savoir que ma femme, Daphné, connaissait étrangement bien cet objet. Et qu'elle m'avait ordonné de m'en débarrasser le jour même car c'était « bien trop dangereux entre des mains aussi pures que les nôtres ». Je me souviens avoir fait mon sac et être sorti de la maison. J'avais en tête de marcher jusqu'au lac des Feuillets, et longer les ruines de l'ancienne muraille des Nains. Cela m'avait semblé être une bonne idée de la cacher dans les environs. Puis, c'est le trou noir ».

« Vous avez l'air bien certain pour quelqu'un qui a perdu la mémoire. L'avez vous au moins cherchée chez vous ? En vous regardant, je peux deviner que vous ne l'avez jamais fait. Vous qui sembliez si sûr de vous il y a un instant, je vous vois, vous décomposer ».

C'était en effet ce qu'il ressentait, car évidement, lorsque il s'était réveillé ce jour-là, il n'y avait plus de flacon et on l'avait laissée dans les bois à côté de chez lui. Il s'était alors précipité vers sa maison, inquiet puis réconforté lorsqu'il avait retrouvé son épouse. Il avait raconté son aventure écourtée et restait dubitatif à ce propos. 

Trop de questions, restaient en suspens, l'assaillaient, ceux qui lui avaient volé, d'ailleurs, plusieurs de ses nuits. Un jour, il avait avoué à sa Daphné, que l'une de ses plus grandes peurs était que le flacon soit resté ici, ou retourné chez eux, car à ce moment-là, il était certain que ce flacon maudit n'apporterait que des malheurs. C'est ainsi qu'ensemble, ils avaient fouillé et retourné la maison de fond en comble, histoire d'être bien certains qu'ils étaient désormais libres et en sécurité.

Mais maintenant, qu'ils en parlaient, ce jour-là, il y avait un endroit dans lequel, il n'avait pas cherché. Il se souvient s'être dit que c'était tout bonnement impossible car seul lui et sa femme y avaient accès et en connaissaient même l'existence. Il se tétanisa un peu plus quand il s'aperçut qu'il n'était plus jamais allé là-bas depuis. En y songeant de nouveau, il n'avait plus jamais pensé à cet endroit, qu'il affectionnait tant avant.

D'une voix faible et horrifiée il se mit à parler tout haut, peu sûr de savoir si c'était à l'inconnu ou à lui-même.

« Il y a bien un endroit. Il y a cet Arbre à côté de chez nous, immense de taille et aussi majestueux qu'un dieu parmi les hommes. Il est si grand que nous pouvions nous abriter dans son tronc. Nous l'avions façonné de sorte que l'on pouvait s'y réfugier et rester confortablement des heures. Tout en parlant, Pierre de Feuille semblait perdu dans ses pensées. Et dans cet arbre, il y a un coffre... ».

Feuille de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant