Chapitre 1 : Folle dingue

541 29 1
                                    

~

Dix-huit, cinq, huit, cinquante, quatre-vingt-dix-neuf, trois, onze, six cent soixante-trois, huit cent soixante-quatre...

Clarke murmurait ces chiffres et tentait de se calmer. Elle était assise face au docteur Tipple, un psychologue recommandé par son père Hank qu'elle n'avait pas vu depuis les vacances d'été de l'année passée. Il était parti au lendemain de ses douze ans, un événement bouleversant que Clarke avait vécu sans difficulté, mieux que sa mère Emma, sans aucun doute.

Ce qui la dérangeait à cet instant était bien loin du divorce de ses parents : elle détestait ce bureau où on la forçait à venir une fois par semaine depuis six mois. L'odeur du canapé, traité avec un produit chimique supposé protéger le cuir, lui donnait des nausées autant que la couleur verdâtre des murs. Clarke regardait ses ongles, elle devrait en limer un avant qu'il ne casse. Elle tentait de se focaliser sur le petit bruit, celui de l'écoulement de l'eau dans l'aquarium près de la fenêtre où un magnifique betta bleu et rouge laissait ses nageoires vaporeuses le guider dans une danse solitaire et singulièrement hypnotique.

— Vous savez pourquoi vous êtes là Clarke, n'est-ce pas ?

Clarke le savait.

— Je viens tous les vendredis, rappela-t-elle.

— En effet, mais il y a une autre raison et j'aimerai que nous en discutions.

Il y avait eu un léger incident au centre commercial de Providence. Clarke était partie sans payer, simplement parce qu'elle avait oublié de le faire.

Dix-huit, cinq, huit, cinquante, quatre-vingt-dix-neuf, trois, onze, six cent soixante-trois, huit cent soixante-quatre...

Elle fit un effort pour se calmer, elle cala bien son dos dans le canapé et regarda le docteur Tipple du coin de l'œil. Elle ne pouvait s'empêcher de voir tous les petits défauts de son visage peu avenant, et surtout cette verrue énorme plantée près d'un nez épaté accueillant une multitude de points noirs. Son crâne chauve perlait de sueur à cause du climatiseur en panne. Il sentait la transpiration et des auréoles sombres étaient visibles sous ses bras dès qu'il rajustait ses lunettes rondes de ses petits doigts boudinés.

— Je n'ai pas volé ce crayon noir, répéta-t-elle.

— Oui, c'est ce que vous avez dit à l'agent de sécurité et à votre mère, mais vous ne vous êtes pas arrêtée à la caisse pour payer, ce qui, aux yeux de la loi et de la justice, est considéré comme un vol. Vous savez que c'est indispensable de payer ce que vous prenez dans les boutiques ou dans les magasins, n'est-ce pas ?

Clarke frotta ses mains sur son pantalon, agacée par cet entretien.

— Je le sais, je ne suis pas stupide !

— Alors, pourquoi ne pas vous être arrêtée à la caisse ?

Clarke ne voulait pas répondre. Quand elle parlait de ses rêveries, de ses voix et des nombreux dialogues dans sa tête, le docteur Tipple considérait qu'elle parlait à des gens qui n'existaient pas.

— Je ne sais pas...

— Emma m'a dit que vous preniez bien votre traitement pourtant. Vous le prenez, n'est-ce pas ?

— Oui, bien comme il faut.

— Matin et soir ?

— Oui je vous dis ! Mais votre médicament me fait trembler, j'ai tout le temps soif, j'ai des nausées la nuit et c'est pénible, très pénible.

— Ce sont quelques-uns des effets secondaires possibles malheureusement. Mais vous savez aussi que votre traitement calme vos phases dépressives et vos épisodes maniaques.

Loving Clarke - FF/GGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant