Ce souvenir si profond...

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Nous ne voyions pas ce qui se passait sous nos yeux, nous n'étions que des enfants. Les ruines étaient notre terrain de jeu, pas la preuve des atrocités qui se déroulait dans la ville. Mes copains et moi avions pour rituel de nous rejoindre sur une épave de voiture abandonnée où le terrain était jonché d'énormes pierres enfouies sous une fine couche de sable.

Je me rappelle une fois, où comme à son habitude, Hanna était en retard à notre rendez-vous. Alors que nous l'attendions patiemment, Albert proposa une partie d'osselet. Jacques n'était pas bon et ce fut l'occasion de rire à gorge déployée. Mais au bout d'une heure, toujours aucune trace de la retardataire. Je commençais tout de même à m'inquiéter. Je laissais donc mes amis pour courir au village, où je toquais à la porte d'une petite maison à la façade ornée de glycines dans les tons mauve, violet et blanc.
Mais contrairement à ce à quoi je m'attendais, ce n'est pas mon amie, une belle petite fille châtain aux yeux clairs, qui vint m'ouvrir mais un homme avec une carrure imposante et un uniforme militaire que je ne reconnus pas.
Le soldat me dit avec un sourire carnassier :
« Tu es perdu petit ? »
Je bafouillais, sans trouver mes mots. L'homme me faisait peur et je voulais partir, je me mis à courir, rebroussant à toute vitesse le chemin que j'avais parcouru il y avait à peine une demi-heure.

Quand j'arrivais près de mes amis à bout souffle, ceux-ci me lancèrent un regard interrogateur. Je leur expliquai la situation. Ils me rassurèrent. Après tout, Hanna était peut-être en vacances avec ses parents, non ? Je n'étais tout de même pas serein.

Nous décidâmes donc de nous installer dans la voiture démantibulée, pour manger les cookies rassis et en miettes que Jacques avait dans ses poches.
C'est la dernière fois que j'ai pu partager nos minces rations avec mes amis car je ne les ai plus jamais revus. Alors que la nuit tombait, notre au revoir fut en réalité un adieu.

Le soir, nous avons dû quitter notre foyer. Ma mère disait qu'il fallait que l'on se dépêche. Je lui ai demandé pourquoi et lui ai dit que je voulais jouer avec mes amis demain. Elle me répondit avec les larmes aux yeux et les mains tremblantes :
« Je sais mon chéri, mais il faut partir, nous n'avons pas choisi d'être juifs mais eux ont choisi d'être nos meurtriers. »

Ce n'est que plus tard que j'ai mesuré l'importance du bonheur et des moments de joies partagés en temps de guerre.

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