Peut-être y était-il allé un peu fort. Peut-être, d'ailleurs, que Louis avait réellement envie d'entrer dans l'armée. C'était une panoplie de « peut-être » qui défilait dans la tête de Harry depuis qu'il l'avait laissé dans ce bar. Il s'en voulait un peu de l'avoir abandonné de la sorte. Seulement, tout ce qu'il n'avait jamais pu lui dire avait fini par sortir. Ce n'était sans doute pas le moment idéal et il l'avait probablement blessé. Harry en était même certain. Il n'avait toutefois pas l'intention de présenter ses excuses. Ce qu'il avait dit, il le pensait, et ce depuis des années. Il avait fini par renoncer d'attendre Louis pour vivre et il n'en ressentait aucune honte, aucune culpabilité. Bien au contraire, l'écrivain était fier de sa jeunesse. Même s'il se considérait toujours comme un vieil adolescent, il savait qu'il avait fait ses expériences en temps et en heure, au moment où c'était important pour lui. Il n'avait rien à regretter.
Sa tasse de café dans une main, une cigarette dans l'autre, il écoutait d'une oreille tout à fait distraite ce que racontait Benjamin. Son éditeur avait tenu à cette vidéo-conférence pour parler des ventes du dernier bouquin et de la publication du prochain, qui n'était toujours pas prêt. L'entendant hausser le ton, Harry se concentra à nouveau.
— Je fais ce que je peux, Ben, protesta le jeune homme. Je l'ai presque terminé, mais je n'arrive pas à conclure. Et tu sais aussi bien que moi que la fin est presque plus importante que tout le reste réuni.
— Il te reste trois mois avant la phase de correction et de reprise. Je ne peux pas te donner davantage de délai.
— Je vais faire au moins. C'est promis.
Sur ces mots s'acheva la communication. Harry, dans un geste colérique, envoya valser son téléphone sur le canapé, le regardant rebondir et tomber au sol avec impuissance. Un long soupir s'échappa alors de ses lèvres et il posa tout ce qu'il tenait à la main pour se masser le visage. Le retour de Louis avait chamboulé son existence. Jamais il n'avait pensé le revoir, surtout pas dans ce hameau perdu. Grasse n'avait rien d'une petite ville, mais les quartiers historiques ou résidentiels formaient de petites communautés. C'était un charme indéniable qu'il fallait aimer et Harry savait de mémoire que Louis n'avait jamais voulu vivre ici. Il rêvait de grandes villes industrielles ou, à l'inverse, de campagnes à perte de vue. Une contradiction qui collait parfaitement avec le garçon. Un regard si expressif qui ne pouvait rien cacher et un corps rigide qui ne montrait rien, voilà ce qui résumait Louis.
Indécis au possible, l'écrivain tournait en rond comme dans un bocal depuis son altercation. Toutes ses pensées étaient tournées vers son ancien camarade et il commençait même à se demander s'il n'avait pas fini par s'inventer une histoire à force de vouloir en vivre une. Après tout, il était plausible que Louis n'ait jamais rien ressenti pour lui et que son regard ait été destiné à quelqu'un d'autre. Malgré tout, Harry refusait cette possibilité et il était désormais temps qu'il se prenne en main. Louis avait fait un pas vers lui et, pour le remercier, il l'avait abandonné dans un bar avec pour seule aide le numéro du bus à prendre. Ce n'était pas vraiment ainsi qu'il s'était imaginé leurs retrouvailles.
Prenant son courage à deux mains, Harry enfila une veste pour se donner contenance et fit quelques exercices de respiration avant de sortir. A son tour, comme Louis l'avait fait avant lui, il traversa la rue sans se soucier de ce que pouvaient bien penser les voisins et toqua plusieurs fois contre la lourde porte de bois. L'ancien militaire fut bien plus rapide que lui pour ouvrir. Dans son regard, aucune trace de rancœur mais une certaine douleur qu'il était impossible de ne pas voir.
— Je suis désolé, lâcha Harry en guise de préambule. Je n'aurais jamais dû t'abandonner comme ça, ni te dire tout ça.
— Au moins tu as été sincère ...
Ne sachant que dire, il garda le silence et suivit docilement son hôte jusqu'à l'intérieur. Rien n'avait jamais, tout était comme dans son souvenir. Cette maison avait toujours peiné à posséder une âme, comme si les apparences avaient toujours été plus importantes que de montrer ce que l'on ressentait vraiment. Les murs blancs n'étaient décorés que de quelques peintures de paysages. Aucun cadre photo, aucun dessin d'enfant. Même le mobilier ne révélait rien concernant les goûts des occupants. Tout était le reflet parfait de la famille Moreau.
— Tu as pris le nom de ta mère ? demanda soudain l'écrivain.
— Avant d'entrer à l'armée, oui, j'ai fait les démarches pour changer de nom. Pourquoi ?
— Rien, je viens seulement d'y penser. Tu n'as pas changé sur la boîte aux lettres.
— Je suis ici provisoirement.
Voilà qui aplanissait les choses. Harry n'ajouta rien sur le coup, ne révéla pas qu'il avait, lui aussi, fait quelques recherches sur internet. Il avait trouvé ce certain Louis Tomlinson, décoré pour sa bravoure, retraité de l'armée plus tôt que prévu, ancien combattant et blessé de guerre. Harry avait lu tout ce qu'il avait pu trouver à son sujet. Ses réseaux sociaux étaient bien vides, à l'image du garçon que Louis avait toujours été. Discret.
— C'est moi qui suis désolé, finit par souffler le militaire.
— Pourquoi ?
— Tu avais raison, l'autre jour. J'ai toujours été celui qu'on attendait que je sois. Je n'ai jamais affirmé qui j'étais réellement. La seule fois où je me suis imposé, c'était pour dire que je m'enrôlais, et ça leur convenait plutôt bien.
— Ils vivent où, aujourd'hui ?
— Toujours ici. Ils sont seulement en vacances prolongées. Et toi ? demanda-t-il après un moment d'hésitation.
— Mon père est reparti en Angleterre après le divorce avec ma mère. Elle, elle est partie aux Etats-Unis. En Californie.
— Je n'ai jamais pensé que l'homosexualité était punissable.
Louis lâcha sa phrase au milieu des explications de Harry, les joues rouges à force d'avoir retenu sa respiration. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il fallait qu'il le dise. Il fallait que ça sorte. Il ne supportait pas cette situation. Il avait gâché leurs retrouvailles, par peur d'être rejeté, par peur d'être incompris.
— J'ai toujours fait ce qu'il fallait pour que tout le monde soit content. Pour ne décevoir personne. Je ne voulais pas qu'on puisse me juger alors j'ai toujours tout gardé pour moi. J'ai fréquenté le type de gars que mon père appréciait, j'ai fait semblant de m'intéresser à toutes les filles qu'il trouvait mignonne. Je n'écoutais pas la musique trop fort, j'essayais d'être bon en classe, mais pas trop, de m'habiller comme tout le monde. J'essayais juste d'être transparent, pour que personne ne vienne se poser de question. Visiblement, ça a davantage attisé ta curiosité.
— Tu penses qu'ils t'auraient rejeté, tes parents ?
— Je ne sais pas, avoua Louis au bout d'un moment. J'ai toujours eu peur de ça, mais je ne sais pas ce qu'il se serait passé si je leur avais dit que j'aimais les hommes ... en particulier si c'était le voisin bruyant et provocateur d'en face qui hantait mes rêves les plus chauds.
Harry, qui s'était obligé à ne pas fixer son ami pour l'aider à parler avec plus de facilité, releva les yeux. Il se passa un petit moment sans qu'il ne dise rien. C'était pourtant à lui, de prendre la parole, de rassurer Louis qui venait de faire un grand pas. Mais l'écrivain ne savait pas quoi dire. Il ne s'était pas préparé à cette éventualité.
Sans un mot, donc, il s'approcha et attrapa les mains du militaire dans les siennes. Il les caressa avec douceur, sentant sous ses doigts toutes les cicatrices qui définissaient la vie du soldat face à lui. Il les observa un instant, trouvant un charme indéniable à ce passé qui avait brisé Louis en plusieurs points.
— Je n'ai jamais vraiment fait l'effort de te dire clairement ce que je pensais non plus, souffla Harry en s'approchant de son oreille. Mais je peux peut-être réparer ça.
Sur ces quelques paroles, il embrassa les tempes de Louis et remonta progressivement ses mains jusqu'à sa tête, pour les enfouir dans les cheveux incorrigibles du petit châtain. Si Louis avait rarement échangé de baiser au cours de sa vie, il sut en revanche exactement comment s'y prendre pour le rendre à Harry. Ce ne fut que lorsqu'ils se séparèrent qu'il se rappela comment respirer.
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Carbon Heart (L.S)
FanfictionLe temps arrange parfois les choses. Il suffit simplement de lui faire confiance.