deuxième lettre

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D E U X I È M E⠀L E T T R E


⠀⠀Ma chère Élise,

Il y a tant de choses que j'aimerais te dire et tant de choses que j'aimerais taire à jamais.

Je pensais que l'on avait l'éternité devant nous, mais le temps nous a rattrapés, et plus vite que je ne l'avais prévu.

Au début, toi et moi pensions que l'on ne pourrait jamais s'accorder, étant donné le nombre incalculable de nos différences. Mais, peu à peu, on a appris à s'aimer, à accepter nos différences. C'était long, je te l'accorde, et non sans disputes et crises de nerf. Parfois, lorsque je passe devant la porte de ta chambre, j'entends encore le bruit de son claquement violent et sec. Il te faut admettre que tu t'énervais rapidement et, souvent, pour un détail sans réelle importance.

Je viens de relire la phrase que je viens d'écrire, et je me rends compte avec effroi de mon pessimisme qui ne cesse jamais. Ce que je suis rancunière ! Mais je m'égare. Tous ces mots et ces lettres se mélangent dans ma tête, créant un trouble flou et indistinct.

Revenons à nos moutons. Je disais donc que l'on avait appris à accepter nos différences. Ce terme est d'ailleurs très global, et même partiellement faux. Je suis quasiment sûre que, si tu me voyais encore buter sur la manière d'utiliser un téléphone portable avec un écran tactile, tu ne pourrais t'empêcher de glousser dans ton col roulé.

Si tu as continué de lire jusqu'ici, tu dois sans doute froncer les sourcils, et je te comprends. Je ne t'ai fait, jusque-là, que des réprimandes, et je te prie de croire en mes sincères excuses. Je pourrais bien déchirer ce papier en quatre morceaux avant de les faire voler jusqu'à la poubelle et de repartir à zéro sur une autre feuille, je pense que cela n'y changerait rien. Je dis cela par expérience, car j'en suis à écrire ma septième seconde lettre, et si j'en recommençais une huitième, elle serait identique à celle-ci tout comme les autres. Je crois bien que le fait de critiquer la société ouvertement est inscrit dans mes veines, et que je fasse des efforts ou non ne changerait absolument rien.

Mais je m'égare encore. Je ne suis pas très en forme pour l'écriture aujourd'hui, décidément. Peut-être est-ce à cause de la tempête qui éclate dehors. Les larmes de pluie s'écrasent contre la fenêtre devant laquelle je suis assise et pleurent contre la vitre en glissant lentement avant de disparaître à jamais, éphémères.

Au fait, j'ai toujours gardé tes anciennes partitions de piano. Elles attendent là, dans l'armoire qui me fait face, attendant patiemment que leur joueuse ne les pose sur le pupitre. Cela fait bien des années qu'elles n'ont pas servi — je n'ai jamais su jouer d'aucun instrument, à part le triangle peut-être. J'ai encore l'espoir qu'elles revivront un jour de tes propres mains.


⠀⠀M.

Lettres à ÉliseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant