L'élève fantôme

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       Debout sur le perron je tirai sèchement la vielle porte de chêne massif qui refusait de se fermer. La tête lourde, d'une migraine que je ne m'expliquais pas, j'avançais d'un pas trainant jusqu'à ma moto. Je mis mon casque, j'enfourchai le véhicule et fit gronder le moteur. Je n'étais qu'à une vingtaine de minutes de l'école de musique où j’enseignais le violon à des gamins plus ou moins doués.

Et le premier élève de ma journée faisait partie de la deuxième catégorie.
Bien sûr, c'était un garçon aimable, poli et très ponctuel. Mais il était dépourvu de tout sens musical si bien que chaque note tirée de son violon était un supplice pour mes oreilles. Il était le seul, qui en sept ans de pratique instrumentale, n'avait jamais terminé un morceau en entier. Il me désespérait et chaque cours était pour moi l'occasion de constater que cet élève était une catastrophe irrattrapable.

J'arrivai une quinzaine de minutes en avance. Et alors que je me dirigeai vers ma salle habituelle, Hasley Scott, la secrétaire du directeur, un grande femme à la peau légèrement bronzée toute l'année et aux beaux cheveux or.
Son air arrogant de la femme enorgueillie par sa position, arriva à ma hauteur et, sans me saluer, m'interpella sèchement : « Monsieur le Directeur réquisitionne votre salle pour l'attribuer au nouveau professeur de piano. Vous serez donc bien aimable de prendre la salle numéro 033. Ce sera votre nouvelle salle fixe à compter de ce jour ! » Elle prenait, comme souvent, un plaisir non dissimulé à transmettre les mauvaises nouvelles que le directeur répugnait à annoncer lui-même.

« Quoi… La 033, la salle de l'entre sol ? » Demandai-je piteusement alors que mon mal de tête battait un peu plus fort mes tempes. Elle sourit dun air goguenard et pris son temps pour répondre : « Celle-là même monsieur Welsh. Je constate avec plaisir que vous n'aurez pas besoin d'un plan pour vous y rendre.» Ironisa-t-elle avant d'ajouter : « Oh et bien sûr, vos élèves ont été prévenus du changement de salle. »

Et en me laissant planté au milieu du hall sans plus d'explication, elle disparue dans le couloir qui menait au bureau de la direction, emportant avec elle son air de reine victorieuse, sa tête haute, ses lèvres couleurs sang, et l'horrible martèlement de ses talons de douze centimètres aux semelles rouges hors de prix. Ce rouge agressif qui devait, pensait-elle, une fois la conversation terminée, rappeler à ses interlocuteurs qui était le chef. C'était bien ma veine, pensai-je médusé. Je détestais cette salle. D'ailleurs, professeurs et élèves détestaient tous cette salle. Pour cause, il y a sept ans, il s'y était produit un grand malheur.

Le dernier étudiant à s'y être exercé était un jeune garçon de seize ans. Un jeune « génie » dont les doigts glissaient sur le violon comme l'eau d'une source pure. Chacune de ses notes vibrait si bien que le Directeur lui-même interrompait parfois sa master class pour l'écouter. L'élève préparait le concours national de fin d'étude. Mais alors que sa victoire était quasiment assurée, le garçon acharné dans la quête du morceau parfait, répétait seul, avec une frénésie maladive dans cette salle n°033 qui était devenue, pour tous, la sienne.

Jusqu'au jour où, alors que le son de son instrument avait comme souvent attiré un auditoire aussi muet qu'admiratif devant la porte, le violon s'arrêta sur un Ré solaire. La note s'étira, devint lugubre pour s'éteindre dans un gémissement grotesque. Après quelques secondes l'un des admirateurs inquiet osa frapper à la porte et face au silence qui répondit, il la poussa. Le jeune prodige était là, allongé sur le sol, le violon et l'archet toujours à la main : le visage calme, les doigts meurtries par des heures de répétition, les yeux ouvert au plafond. Le corps se refroidissant à chaque seconde... Il était mort.

L'école entière fut saisie de stupeur. Les médecins, incapables d'expliquer cette mort soudaine, finirent par mettre ce décès sur le compte dune fatigue extrême. Et depuis ce jour la salle n°033 avait été scellée. Mais cette Hasley Scott, avait l'oreille et toute l'attention du Directeur, et j'étais prêt à parier que cette mégère avait usée de toute son influence pour me voir attribuer la salle maudite !

L'élève fantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant