° Rosa Winkel °

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Le ciel gris me nargue alors que je marche dans les rues, rapidement, la tête baissée, j'évite de croiser les regards sur ma personne.
Certains tentent un contact visuel avec moi, l'ombre d'un sourire se dessine sur leurs visages alors que je cache le plus possible l'unique pièce de couleur de ma tenue, piétinent misérablement dans les flaques de pluie et de boue.

La pluie s'abat sur mon corps tremblant de froid, mes godillots sales protègent mes pieds autant que ma chemise protège ma peau trempée des larmes des nuages.

Tous les mardis, je fais le même chemin, bravant les intempéries malgré les avertissements de mon compagnon.

Tous les mardis, je croise les orbes azures et dédaigneuses des grandes femmes aux cheveux d'or, protégées de leurs parapluies qui chuchottent des immondices à mon égard.

Tous les mardis, je ressens cette honte qui me prend aux trippes lorsque je dois sortir de ma maison et parader comme une personne "normale".

"N'a-t-il pas honte de sortir de chez lui ?"

Après un énième chuchotement j'aperçois mon échappatoire à quelques mètres de moi, gonflant mon cœur d'espoir.

Je rentre dans cette grande bibliothèque, l'odeur du bois vieilli accompagne le bruit de mes pas résonnants sur le plancher grinçant.

J'ouvre maladroitement mon sac de toile avant d'en sortir une paire de chaussures usées néanmoins propres, enlevant mes vieux godillots salis par mon trajet.

Je les tape brièvement l'un contre l'autre pour enlever le plus gros avant de prendre un torchon, les mettre dedant et fourrer le tout dans mon baluchon mettant à mes pieds ma paire propre.

Personne ne ce trouve dans l'édifice, seule ma curiosité ce balade désormais dans les différentes tranchées, guidant mes jambes à la recherche d'une nouvelle lecture.

Je m'approche, me penche, caresse de la pulpe de mes doigts le cuir des ouvrages que je croise avant de me redresser et reprendre mes recherches.
Mon regard calme passe sur plusieurs tranches de livres, les minutes s'enchaînent dans ma quiétude rythmées par le bruit de mes pas.

Malgré la similitude des ouvrages que je vois, mon corps se fige lorsque mes yeux baladeurs tombent sur un livre à la tranche de couleur noire.

Une couverture noire de jais ; attirant mes pupilles avides de connaissances, faisant étirer mon bras à sa rencontre afin de le saisir délicatement et le sortir de ce rang aux ouvrages n'ayant pas attisé ma curiosité.

Ma lecture en main, je regarde sommairement son intitulé avant de me diriger tranquillement vers le fauteuil en cuir marron craquelé où je m'assois toujours.
La lampe poussiéreuse aux allures vieillottes, posée sur le guéridon en bois ciré à sa droite, éclair le petit coin aspirant au calme et à la sérénité.

Je m'assois doucement sur le meuble brun vieilli, m'enfoncent dans ce confort à l'odeur de poussière avant de soupirer discrètement d'aise, ne voulant pas briser ce silence réconfortant.

Ainsi instalé, je ne prête plus attention à se qu'il se passe à l'extérieur de ma bulle, j'en oublie le triangle rose apposé sur ma veste, j'en oublie mon cœur qui ce serre lorsque je croise le regard de dégoût des gens dans la rue.

Le temps d'une lecture par semaine, j'oublie qui je suis et me plonge dans l'histoire d'un autre, une autre personne qui n'est pas moi.

Alors j'ouvre précautionneusement l'ouvrage que j'admirais il y a encore quelques secondes, impatient de rejoindre cet univers utopique que je convoite chaque jour, avant de m'y plonger.

 | Rosa Winkel | °Jingyeom° [OS] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant