Chapitre Un

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En cette rentrée de septembre, un grand soleil brille sur la petite ville de Pluie. Ironique, me diriez-vous. Mais c'est toujours comme ça : il y a toujours du soleil à Pluie. Enfin, peu importe, c'est la rentrée. Les élèves s'agglutinent au portail du collège William Shakespeare. Ils se bousculent. Ils se poussent. Un jeune garçon — sûrement un sixième, il est haut comme trois pommes — fait tomber ses lunettes dans la foule et se fait piétiner en voulant les ramasser. Les plus grands écrasent leurs cigarettes et se fraient un chemin parmi les élèves pour rentrer dans la cour. Les élèves les plus jeunes sont ébahis et impressionnés par leur taille. On se précipite vers les panneaux d'affichage pour découvrir sa classe. Certaines hurlent de joie parce qu'elles sont dans la même classe que leurs amies, d'autres poussent de longs soupirs en découvrant le nom de leur professeur principal. Une jeune fille pleure parce qu'elle n'est pas dans la même classe que son amoureux, elle menace même de taper un scandale. Bref, rien d'étonnant pour une rentrée.

La cloche sonne. Et c'est là que l'on rencontre notre héroïne. Léopoldine. Elle arrive en courant, essoufflée. Léopoldine est en retard et complètement perdue. Elle n'a pas eu le temps d'aller voir sa classe sur le panneau d'affichage. Elle commence à paniquer et respirer lui devient difficile. Par chance, elle entend une voie familière crier son nom. C'est Elodie, sa meilleure amie. Enfin, plus vraiment mais bon, c'est une autre histoire. Elodie s'avance vers elle à grands pas. Il faut dire qu'elle est grande, Elodie. Elle mesure au moins un mètre soixante-dix. Elle est brune. Elle a confiance en elle. Léopoldine la trouve « parfaite », et elle voudrait lui ressembler. Elle arrive à sa hauteur avec ses deux autres amies, Sasha et Ambre.

    - On est toutes dans la même classe ! C'est trop bien, non ? Bon, viens, on monte, on est en salle 103. Oh, et on a madame Joly en prof principale, pas ouf...

Alors Léopoldine suit le groupe de filles. Elle ne les aime pas vraiment, mais bon, au moins, elle a un repaire.

Les premières heures de cours sont toujours les plus ennuyantes. Les professeurs distribuent les papiers administratifs, les listes de matériels, les carnets de correspondances, bla bla bla... Pendant que Léopoldine est dans les nuages, comme on dit, laissez moi vous la présenter. Léopoldine a 13 ans, 2 mois et 18 jours. Elle se trouve fichtrement inutile. Ses « amies » lui adressent à peine la parole depuis quelques mois. Elle se trouve moche. Elle a trop de boutons sur les joues et sa poitrine n'a toujours pas pointé le bout de son nez. Et en plus, elle vient d'avoir ses règles pour la première fois, ce matin même – ce qui explique son retard. Vraiment pas de chance. L'année scolaire commence bien, apparemment. Enfin, bref, après ces quelques heures de cours peu intéressantes, il est temps d'aller à la cantine. La purée est trop froide et le steak bien trop cuit, décidemment, pas de chance. Léopoldine étale sa purée dans son assiette, encore une fois perdue dans ses pensées. 

    - Au fait, Léo, c'était bien tes vacances ? Faut dire qu'on peut pas avoir de nouvelles de toi, t'as pas de téléphone, critique Sasha. C'est quand que tu vas en avoir un ? Tu vas passer ta vie avec ton vieux baladeur, si ?

Léopoldine sent presque les larmes lui monter aux yeux. Bien sûr qu'elle aimerait en avoir un, un téléphone. Mais ses parents refusent. « Pas avant le lycée » ont-ils dit. Mais ce n'est pas ça qui la blesse, non, c'est la remarque sur son baladeur. C'est son grand-père, son papi Ernest, qui lui avait offert, pour ses 11 ans. Et il est mort, papi Ernest, alors c'est un sujet sensible. Léopoldine ne se sépare jamais de son baladeur, elle ne s'en séparera ja-mais, que se soit bien clair. Elle en est sûre. 

    « - Je... Oui, c'était bien. Je vous l'ai déjà dit, mes parents m'ont dit que j'en aurais un au lycée, répond notre Léopoldine.

    - Pfff... Trop naze, soupire Ambre, rajoutant son grain de sel à la conversation. »

Elodie adresse un sourire qui se veut réconfortant à Léopoldine qui hausse les épaules et croque dans sa pomme.

Les jours passent et Léopoldine s'ennuie à mourir. Elodie, Sasha et Ambre ne font que parler de garçons, de maquillage et de téléphone. Et Léopoldine, elle s'en fiche de tout ça. Elle s'ennuie tellement qu'elle prétend aller aux toilettes pour s'éclipser au CDI et lire un bon livre. Ce sera toujours mieux qu'écouter les ragots que ses copines ont à raconter. Elle entre dans le CDI, salue la documentaliste et prend le premier livre qui lui tombe sous la main avant de s'installer à une table. Elle pose son sac, retire son manteau et regarde le livre. Aristote et Dante découvrent les secrets de l'univers. Elle l'a déjà lu, mais ce n'est pas grave. Elle commence sa lecture mais sent un regard posé sur elle. Elle relève doucement les yeux et le garçon assis en face d'elle, un peu plus loin, baisse les yeux. Ses joues rosissent. Léopoldine l'observe à son tour. Il est petit. Elle se demande en quelle classe il est, elle ne l'a jamais vu. Il porte de grosses lunettes et il a l'air tout timide. Je vous le présente ?

Ce garçon, c'est Gaspard. Gaspard est bizarre. C'est ce que disent tous ses camarades depuis sa rentrée en quatrième. Gaspard porte un t-shirt de différentes couleurs chaque jour de la semaine. Lundi : bleu. Mardi : jaune. Mercredi : orange. Jeudi : rose. Vendredi : rouge. Samedi : vert. Dimanche : violet. Et c'est la même chose chaque semaine. Gaspard aime sa routine, il en a besoin, pour se sentir en sécurité. Il déteste qu'on la lui change, ça lui provoque des crises d'angoisse. Alors quand il a changé de collège cette année, ça a été difficile, et il s'est encore plus refermé sur lui-même. Personne ne connaît Gaspard. Il ne parle à personne, jamais. Hormis en cours de maths, dans lequel il donne toutes les réponses au professeur sans la moindre hésitation. Gaspard adore les maths. En ce moment, il lit une BD. Boule & Bill. Pas très originale. Mais il ne la lit pas vraiment parce qu'il sent le regard de la fille sur lui. Il se sent observé et il déteste ça. Il est sur la même page depuis cinq minutes. Il triture un trombone dans ses mains, sous sa table, angoissé. Il est perturbé par le regard de Léopoldine. Tellement perturbé qu'il ferme la BD, la repose dans le bac, et prend son sac pour sortir du CDI. Mais il a oublié son manteau sur sa chaise. Léopoldine est bouche bée. Elle n'a rien compris. Elle était en train de s'imaginer la vie de ce garçon. Elle adore faire ça. C'est un jeu qu'elle avait inventé avec papi Ernest. On regarde les gens et on imagine leur vie. Comment s'appellent-ils ? Ont-ils des frères et sœurs ? Quel âge ont-ils ? Quel est leur métier ? Puis le garçon s'est levé, à toute vitesse, et il est parti, affolé, presque en courant, comme s'il avait un train à prendre.

Barbe à PapaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant