Chapitre 7 - Up

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L'Ural file à présent d'une trajectoire rectiligne. Régulière, confortable, sans rien à voir avec les terrains accidentés des Terres Hostiles. La Route, la Fury Road. Celle qu'empruntent les convois chargés de Guzzolene, d'Aquacola, de balles et de toutes les Productions. Celle que les Buzzards ont si souvent attaquée. Dans le rétroviseur, très loin, les colonnes de fumée de Pétroville s'élèvent jusqu'à se dissiper sur le bleu du ciel immense. Et au-devant de leurs pneus, une nouvelle fois à portée de main mais encore lointaine, se dessine la Citadelle, ses trois tours minérales coiffées du vert de leurs « jardins ». Aucun véhicule des raffineries n'est en vue. Ni au-devant, ni au derrière. Juste le sol qui défile, qui défile en hachures beiges et ocres.

Il y a plus de dix minutes que Nux n'a rien dit, et Volta lorgne sur lui par le coin de ses lunettes. Il regarde la route en dessous d'eux, par-dessus les pointes rétractées du sidecar. Ce silence ne lui plaît pas. Maintenant, elle en sait assez pour ne pas aimer.

— T'es déjà mort, glupyy ?

Il secoue la tête plusieurs fois et replace sa jambe, sans doute inconfortable à cause de l'attelle métallique.

— Ça va bien. Ça va superbement bien.

Il dit ça mais il y a une distance anormale dans ses yeux. Volta accélère mais l'Ural ne pourra pas plus. La seule chose qu'il faut, c'est qu'il ne s'endorme pas, alors elle fait pétarader le moteur.

— On distingue les plateformes, dit-elle, et cette perspective semble agiter un peu de l'adrénaline qui lui reste.

— La Tour Un, dit-il. C'est là qu'il faut monter.

Il s'oblige à se rassoir sans s'affaler et se laisse peut-être euphoriser par ce qu'il voit. Plus proche, plus proche. A chaque instant, la Citadelle semble à portée.

— Les Millrats font tourner les Roues mais ce sont les Escalateurs qu'il faut convaincre de nous faire monter. Ils choisissent.

— On s'accrochera.

Cette affirmation fait tourner le regard du War Boy vers Volta. S'y accrocher. Pour la première fois depuis leur départ en trombe, il rit. Et comme pour réveiller ses machines autant que celles de l'Ural, il se met à taper sur la carlingue, sur le côté du sidecar. Volta trace. Encore, encore, et peu à peu les formes se précisent. Les Trois Tours, les cultures faitières et les travées hydroponiques, les grues plantées sur les hauteurs comme autant d'épines noires. L'immense crâne hurlant sculpté dans la pierre, le symbole du défunt Immortan. Et l'eau qui – d'un coup tandis qu'ils approchent – se remet à tomber en cascade depuis les bouches noires reliées aux grandes pompes de l'Aquifère. En une longue bande blanche, l'Aquacola se déverse. Vers le bas, vers une foule qu'ils devinent en nappe, plus nombreuse que jamais. La masse humaine envahit le centre des Tours, tous les abords de la Citadelle, et jusqu'à mordre sur le désert où ils devinent peu à peu une foisonnante accumulation de véhicules. De toutes sortes. De tous les horizons. Les chars des Polecats de Pétroville sont là, les rumeurs n'avaient pas menti à Babushka. Mais également de nombreuses chenilles du Moulin à Balles et des voitures de toutes natures, sorties d'ils ne savent même pas où. Comme si chaque trou du sol avait libéré des vies terrées pendant trop longtemps. Une marée de corps dont la clameur est entendue même au travers des V8.

— C'est un truc de dingue.

La posture de Nux, penché en avant sur les scarifications mécaniques qu'il s'est infligées, ne trompe pas. Jamais en une demi-vie, il n'a vu ça ici.

— C'est complètement dingue.

Au travers des véhicules arrêtés que leurs occupants ont laissés sans réellement s'inquiéter de les voir dérobés dans la densité mécanique, ils se frayent un chemin. Plus près, plus près, jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus avancer sans risquer d'écraser les franges de la foule. Des Miséreux faméliques et criblés par les tumeurs, comme il y en a toujours eu, mais d'autres visages, d'autres allures. Des femmes, des hommes, des enfants. L'un d'eux porte un corbeau. Même quelques vieux. Des bacs, des jerricans, des timbales. Volta arrête le moteur de l'Ural et tous les deux restent dans un instant de sidération, à observer ce que les Wastelands n'avaient de mémoire jamais connu.

I live, I die, I live againWhere stories live. Discover now