Un calme temporaire

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Tous regardent un endroit, un objet en particulier pour lequel ils ont fait le déplacement. D'habitude ils ne traînent pas dans ce genre de quartiers, ne se mêlent pas à ce genre de personnes, mais à cet instant, tout est différent : un même but les unit. Certains ressentent quelques sentiments en voyant cet objet ouvert et présentant fièrement son contenu, d'autres, le visage fermé, impassibles, ne semblent pas y prêter attention. Ils sont là et leur effort s'arrête à leur seule présence.

Tous ont été informés de cette réunion par un appel, impromptu, inattendu, non désiré. Pourtant, tous ont répondu présents même ce vieil homme dans son fauteuil roulant qui peine à bouger ses membres. Paralysie intégrale lui avait-on dit il y a de ça une vingtaine d'années. Elle était survenue à la suite d'un accident de voiture dans lequel il perdit sa femme. Lorsqu'il s'est réveillé paralysé il a fait comprendre à sa fille unique qu'il aurait préféré mourir que de vivre cet enfer. Sa fille lui avait alors dit ces mots : « j'aurais préféré que tu sois mort moi aussi ». Il n'avait pas bougé un cil, paralysé il l'était effectivement.

Tous se tenaient là, attendant plus ou moins silencieusement les uns derrière les autres pour se recueillir sur l'objet en chêne massif. Le bois avait été bien décoré, si bien qu'une petite fille le trouvait beau, orné de tous ces rubans mauves. La petite fille suppliait sa mère de lui en donner un. « Un seul. » disait-elle. Mais sa mère, méchante selon la fille, lui refusait son caprice. Elle lorgnait sur l'objet mais ne comptait pas laisser sa fille s'en approcher, six ans c'est bien trop jeune pour ce genre de choses précieuses.

En plus des cris aiguës de la fillette, l'air était transpercé par des cris de rages et de tristesse. Une vieille dame pleurait à s'en déchirer les poumons. L'homme âgé près d'elle lui caressait le dos en soufflant. Il était son majordome et meilleur ami depuis plus de soixante ans, mais pour tout vous avouer, il en avait marre d'être à son service. D'accord il était gracieusement payé et pouvait offrir de beaux cadeaux à ses enfants mais il voulait passer sa retraite tranquillement avec sa famille et non au service d'une autre. La vieille femme n'était pas de son avis et faisait tout pour retarder son départ et l'homme pensait même que cette réunion était de sa volonté. Il ne voyait aucune autre explication : pourquoi y aurait-il cet objet devant lui sinon ? Il priait pour que le contenu n'ait pas souffert avant d'être mis dans le bois. Il priait également que le second fils de son amie soit dans le coup. Cela expliquerait tout il est vrai : ce jeune trentenaire a accès à une flopée d'exemplaires tous peu différents au fond de ce contenu. Il espérait finalement car il était très proche de la famille.

De l'autre côté de la pièce se trouvait un jeune garçon de neuf ans maximum, qui, de blanc vêtu, contrastait avec le décor. Tous les autres invités étaient en noir et certains avaient même coloré leur cœur de cette sombre couleur. Mais ce garçon n'était pas comme les autres, lui était là pour accompagner celui qui fera un discours. Alors il s'était vêtu d'une robe blanche et s'était apprêté avec un long collier orné d'une croix en bois, du pin cette fois-ci. Ce dernier devait être pratiquant pensa une petite dame, venant de l'est au sud. Elle avait quitté son pays natal quand un bel homme lui avait promis une vie de rêve en France, pays soi-disant propice à l'amour. Finalement elle se retrouvait seule à devoir assister à cette cérémonie comme plusieurs autres femmes. Oui, l'amour de France était si abondant que l'homme avait promis son cœur à de nombreuses femmes. Les naïves ne gagnaient qu'une petite partie de son cœur, la plus grosse revenant au détenteur de ce dernier.

Après que le silence ait atteint l'intégralité de la petite salle aux nombreux vitraux, un vieil homme tout de blanc vêtu s'avança jusqu'à l'objet en bois. Il salua la foule dans un murmure à peine audible puis commença son discours. Il détestait ce côté de sa fonction, lui avait consenti à des discours autres où le public est assis sur de beaux bancs l'écoutant et chantant quelques fois en buvant ses paroles. Mais cette heure était à autre chose. Il devait promettre que son dieu l'avait appelé pour une bonne raison, que son dieu a toujours une raison lorsqu'il attribue une épreuve à ses enfants. Sauf que l'homme ne savait pas si cela était vrai. Il n'en savait rien. Et pour tout dire, il n'y croyait pas comme la plupart des personnes présentes. Certains avaient un autre dieu, d'autres n'en avaient pas, les derniers ne croyaient pas à une quelconque rédemption des êtres. Cela avait été décidé à cause des nombreuses femmes attroupées ici, enfin plutôt à l'homme qu'elles aimaient. Le passé est approprié pour en parler car après avoir découvert l'existence des autres elles se sentaient plus trompées qu'amoureuses, comme tout individu dans une telle situation nous admettrons.

Une fois son discours clôt, les convives se sont tous pressés devant l'objet comme si le premier pourrait dire mieux que les autres ce qu'il avait sur le cœur ou sur la conscience. La première personne à atteindre le bois de chêne fut une dame de quarante ans menue et bien coiffée, elle était mannequin, chose apprise grâce aux magazines où la femme figurait. Elle vînt lui dire ces mots :

« Je.. Malgré tout ce que tu as fait je ne t'en veux pas. Je.. Je sais que tu avais besoin de faire ce que tu as fait. Tu seras toujours dans mon cœur.. Bien que tous sont contre toi. Je t'aime petit frère.. »

Elle fut poussée par un homme plus âgé qu'elle avant d'avoir fini ses dernières paroles. Il se racla la gorge et s'adressa au cadavre posé dans le cercueil décoré.

« Je suis content que tu sois enfin mort. Quand je pense que je t'ai laissé ma sœur. Tu en as trompé dix qui sont réunies ici en plus de ma sœur, et qui sait si d'autres n'ont simplement pas voulu te faire face ? Ta sœur te pardonne ? Bien ce sera l'exception. Je vais tellement te haïr que même six pieds sous terre tu vas frissonner de peur. »

Après que la mère ait sorti une dernière plainte, l'homme laissa place au suivant et partit de l'église. Les suivantes, toutes ses femmes, dirent à peu près la même chose : elles se plaignaient de lui et de leur relation. Seule une se comporta autrement. Elle lui reprocha son multiple ménage mais lui dit tout l'amour qu'elle lui portait et lui rappela tout ce qu'il avait fait pour elle. À la fin de son texte elle pleurait, de vraies larmes, et finalement se blottit dans les bras de sa petite fille qui lui dit :

« Maman pourquoi pleures-tu ? Parce que tu ne m'as pas pris des rubans ? C'est pourtant moi qui devrais pleurer.. »

La mère sourit et pleura encore en pensant que sa fille ne se rappellerait jamais de son père. Mais il en valait mieux ainsi. Qui aimerait avoir l'image d'un père volage et d'une mère trop naïve ?

Une heure après, le corps de cet homme plus qu'infidèle était enterré. La famille était plus ou moins soulagée, les pleurs s'étaient quelque peu atténués et les invités de ce funeste événement rentraient chez eux. Le calme prenait ses aises et recouvrait le petit cimetière. Tout redevenait paisible, comme avant son intervention dans la vie des autres. Ce fut un bon fils, poli et brillant, un conjoint agréable si on met de côté sa tendance à l'infidélité, un ami simple et drôle, un père présent sans être envahissant. C'était un homme d'esprit, habile par la pensée et promis à un bel avenir tant que sa supercherie dormait, seulement les hommes en ont décidé autrement, ou peut-être était-ce le ciel ? Qu'importe. Celui qui a laissé tomber cette poutre du haut de l'immeuble près duquel notre hôte passait est directement responsable de sa mort. Qu'importe si l'acte était volontaire ou accidentel, le résultat reste le même. Mais finalement, n'est-ce pas mieux pour ces femmes d'avoir perdu l'homme de leur vie ? Vivraient-elles bien aux côtés d'un menteur ?

Ces questions n'ont pas réponse, personne n'en veut et personne ne va en apporter. La seule personne qui pourrait y répondre pourrit au fond d'un trou.. Alors les tourments doivent cesser et laisser place au bonheur.

Le calme enveloppe les esprits tourmentés tandis que dans la nuit noire, un faible bruit se fait entendre à la surface.

On tape avec force sur du bois entreposé sous une épaisse couche de terre.




Dans le temps, une cloche reliée au petit doigt du présumé défunt prévenait les erreurs de ce genre. Aujourd'hui, si vous êtes sur le mauvais versant de cette rivière incertaine, il en est fini de vous. Ils vous croient mort ? Eh bien ma foi, c'est que vous devez l'être.

Un calme temporaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant