Règle n°1. Ne pas ouvrir à des inconnus

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Son corsage venait serrer douloureusement son petit bonnet. Elle devait tirer plus, encore plus. Plus aucune bosse féminine ne devait être visible sous sa chemise de lin, sous aucun prétexte. Personne ici ne devait être au courant de son véritable sexe si elle souhaitait rester en vie. Mourir libre plutôt que pendue, c'était devenu sa doctrine, son ultime but la raccrochant à son rôle.

Devant sa glace, brisé en chacun de ses coins, la jeune femme aux cheveux courts observait sa poitrine disparaître sous son unique vêtement féminin. Sa silhouette, pleine de cicatrices de fouets, la dégoûtait. Elle la détestait tellement.

«Leplan ! »

Un coup, puissant et sec, la sortit de ses pensées dans un sursaut des plus spontanés.

Qui venait maintenant ? Qui pouvait venir dans ses quartiers à cette heure-ci ? Personne ne venait jamais par ici. C'était une des raisons principales qui l'avait fait aimer ce petit alcôve de sa féminité masquée. Alors bon sang, que venait faire son supérieur ici ?!

«Leplan ! Sortez immédiatement !  »

Pas le temps de paresser, elle devait se dépêcher. Vite. Ses collants. Vite. Sa culotte. Vite. Sa chemise. Vite. Vite. Encore et toujours plus vite. Les coups sur la porte rythmait les battements de son cœur; plus rapide, plus fort, plus intense. Elle allait suffoquée.

Et juste au moment où elle remit les boutons de sa veste en intégralité, les clefs de son geôlier tintèrent dans la serrure de la porte qui s'ouvrit alors de tout son long et claqua contre les pierres froides et crasseuses du mur de sa chambre.

La jeune travestie se tint droite, mains dans le dos. Elle n'avait pas ouvert immédiatement, il allait lui passer un savon. Du moins c'est ce qu'il était sensé appliquer pour tout cas de refus d'obtempération mais étrangement personne ne lui avait jamais rien reproché quant à toutes ses petites "infractions" qu'elles commettaient plus ou moins sciemment. Elle avait un temps pensé que cet homme, laid et autoritaire, avait découvert son secret, mais ce dernier lui avait révélé, un soir où il avait trop bu, que la jeune femme ressemblait étrangement à son petit frère décédé sur le champ de bataille. Elle était devenu son petit frère adoptif ou pour être plus dans le vrai, un réceptacle de son petit frère, pour soulager sa conscience.

Elle n'allait pas mentir, elle avait sauté sur l'occasion. Quoi de plus beau que de s'attirer les bonnes grâces de son supérieur sans avoir à faire ses preuves ? Elle n'était pas assez bête pour ne pas abuser de ceux qui faisait d'elle ce qu'elle devait être par obligation. Sa mère lui avait au moins transmis ça: l'art de la manipulation.

«Capitaine Leplan, pourquoi n'avez-vous pas ouvert immédiatement la porte ?»

Un stratagème. Il lui fallait un stratagème !

«Je me changeais caporal !»

Voix portante, tenue droite, il ne pouvait que la croire.

«Je comprends. Cependant, afin de donner l'exemple aux autres soldats, vous irez dans les cuisines pour rincer l'attirail.»

Une punition ? Pour l'exemple ? Depuis quand avait-elle droit à ce traitement qui n'avait plus rien à voir avec celui qu'elle avait quasiment toujours connu ? Etais-ce à cause de ce nouveau venu, en retrait, et qui arborait comme un sourire de satisfaction ?

Celui-là, elle le sentait définitivement mal. Elle devait se méfier, d'autant plus que son allure et surtout son regard trahissait une certaine ruse.

Fleur cachéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant