Chapitre 2

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Je faisais rouler mes doigts nerveusement sur le volant. La Vie ne se rendait pas compte de ce qu'elle me demandait. Je ne pouvais pas venir du jour au lendemain dans les enfers pour diriger une population qui m'effrayait autant qu'elle me répugnait. Mais pour elle bien sûr, c'était simple. Elle était née avec ce cadeau sur les bras, elle avait appris à vivre avec, toujours protégée du reste du monde, cruel et impitoyable. Régner sur le paradis et contrôler les anges, c'était des activités qu'elle faisait depuis toute petite. Du moins, si j'en crois vieux livres grecs que j'avais lus, il y a longtemps. Je regardai régulièrement dans le rétroviseur pour m'assurer que personne, anges ou démons, ne me suivent.

La nuit était déjà tombée quand je repérai l'abris du jour, et y restai le reste de la semaine. Je continuai ce rythme de fuite pendant un mois, jusqu'à entendre les cloches sonner dans les écoles voisines.

Les pluies ravageuses d'octobre s'écrasaient sur les immenses fenêtres d'une ancienne bibliothèque, je les entendais raisonner dans tout le bâtiment. Armée de la lumière de la lune, j'approfondissais mes connaissances sur le monde inconnu qui coulait dans mes veines. Bien souvent, les mêmes informations rébarbatives se répétaient sur plusieurs pages, il était donc nécessaire de faire le tri. Je passai celles sur la différence entre les démons et les spectres. En fait, cette dernière était simple. Pour faire court, deux démons se battent chaque année pour prendre possession d'un corps. Le gagnant le possédait, et lui apportait quelques modifications bien utiles ; de la force, de la rapidité, et une résistance plus élevée que la normale. Bien entendu, tout cela restait à une échelle raisonnable. De son côté, le perdant garde son apparence enfumée et difforme, puis meurt généralement au bout d'une dizaine d'année. Après cette description sur les démons, il y avait généralement celle sur le commandement de leur reine. Cependant, les livres ne parlaient que de la partie fictive de cette responsabilité. Ils n'épargnaient pas la capacité d'enlever la vie, ni celui de donner du pouvoir à tous ces serviteurs. Pratique, n'est-ce pas ? Je touche un humain, un ange, ou un autre être vivant, il meurt. Je touche un démon, le diable, ou d'autres créatures des enfers, il gagne en puissance. Que la nature était bien faite. Bien sûr, il y avait tout un chapitre sur les rebellions de ces sauvages, des tentatives d'assassinats, et des nombreux conflits ciel/enfer quant aux limites qu'elle leur imposait. L'étude de l'ange et du spectre lumineux se faisait dans la deuxième partie du livre. Comme on peut s'y attendre, leur société est bien mieux organisée. Le calme et le respect y régnaient dans une harmonie paisible. Cette population bienveillante se scindait en deux parties. D'un côté, comme l'a si bien expliqué la Vie, les anges de terrains. Ceux qui sont envoyés sur terre pour mettre à exécutions les ordres de leurs supérieurs, les anges du ciel. Ces derniers sont chargés d'évaluer les endroits fort en délinquances, ceux qui ne le sont pas, puis ils doivent remettre de l'ordre dans cet équilibre bancal. Bien entendu, ce dernier point avait un rapport avec les démons. Les anges devaient donc avoir régulièrement des échanges avec leurs opposés pour régler ce genre de problème. Pour cela, un messager des mondes était élu tous les cents ans, afin d'améliorer la communication. Je levai la tête du bouquin. » Je me demande bien comment ils font, avec le diable comme partenaire politique » pensai-je. Je repoussai un rictus moqueur et continuai ma lecture. J'en étais où ? Ah oui, les anges. Entre les conflits avec le monde souterrain et ceux avec les humains, ils devaient également s'occuper d'un autre point bien plus important ; La Vie. Cette dernière est l'élément clef de leur survie. Si j'ai bien compris, ils ont souvent besoin de nouveaux héritiers. Les démons ne leur font pas de cadeau, bien que se priver de corps pendant un an fut une sanction assez radicale pour ne pas tuer la nouvelle. Tout comme moi, elle peut donner beaucoup de force et de pouvoir à son peuple, qui s'en sert pour aider les humains. Je tournai la dernière page, puis soupirai. Le livre s'arrêtait là. Encore une fois, les informations que je récoltai ne m'aidaient pas dans mes recherches. Le bruit d'un éclair un peu trop proche m'interrompit dans mes reproches. Je tournai la tête, des gouttes d'eaux venaient tacher la couverture du livre. Je retirai mes écouteurs ; la fenêtre avait été cassée, mais je ne l'avais pas entendu. J'étais à découvert, sans armes à proximité. Si c'était un démon, j'étais foutue. Je me levai silencieusement, et essayai de contrôler l'afflux d'adrénaline qui me montait à la tête. Je marchai à pas de loup dans les couloirs du premier étage quand je vis une ombre passer de l'autre côté d'une étagère. Je reteins mon souffle et continuai ma marche, mettant en avant mon inflexible sens de la traque. J'arrivai au bout de l'allée de livre, je me collai au dernier meuble. Pendant quelques secondes qui me parurent être l'éternité, le silence fut le maître de la situation. Je n'entendais que ma faible respiration, encore trop sonore à mon gout. J'avais de la chance que la pluie torrentielle couvre toutes mes indiscrétions. Tout d'un coup, l'étagère contre laquelle j'étais posée se mit à trembler, puis elle sembla se vider de son contenu ; des livres tombaient. Je me décollai d'elle et fis encore un pas, puis tournai la tête. Une forme étrange, dénuée de corps, essayai, en vain, de faire tomber l'étagère. Je m'étais trompée, c'était un spectre, et les livres n'étaient pas tombés, puisqu'ils ne peuvent pas entrer en contact avec le monde des vivants. A vrai dire, je ne savais même pas qu'ils avaient la capacité de sortir des enfers. Je déglutis, et restai figée sur place. Il ne m'avait pas encore vu, il se contentai de frapper dans le vide, et la détermination qu'il employait avait comme effet de faire tanguer légèrement les meubles. Le spectre tourna la tête pile au moment où je faisais marche arrière. Il écarquilla deux poches sombres qui devaient lui servir d'yeux, et fonça sur moi. Le sentir passer à travers mon corps provoqua une vague de nausée, puis des frissons incontrôlables pendant une dizaine de seconde. Je me retournai dès que je fus sûre de la solidité de mes jambes, mais ne vis rien. Il était parti. Je réfléchis quelques instants. Les spectres ne se déplaçaient jamais seul, et rarement sans un but précis. Une ampoule s'alluma dans ma tête ; il prévenait les démons. C'était sans doute un éclaireur, bien que c'était la première fois qu'ils en utilisaient un. Peut-être qu'ils voulaient en finir au plus vite avec moi, et ne voulaient pas perdre de temps sur des pistes erronées. Quoi qu'il en soit, le fait d'être seule, au milieu du premier étage d'une immense bibliothèque n'allait pas m'aider. Cependant, partagée entre deux décisions, je stagnai. Mon instinct me disait de rester ici et de me battre, même si c'était peine perdue. Ma raison me criait de courir si je voulais voir passer le prochain Noel. Je dus réfléchir à la question trop longtemps, puisqu'un bout de toit venait de s'effondrer devant moi. Sur les tuiles couvertes de mousse, deux démons me faisaient face. La pluie ruisselait sur leurs vestes en cuire noires, leurs visages démoniaques affichaient des sourires meurtriers. Ils n'étaient que deux, dans des corps d'hommes, mais semblaient se croire assez fort pour vaincre toute une armée. Une seule vie ? Ça avait l'air presque trop simple pour eux. Ils se redressèrent en un mouvement synchronisé et me regardèrent une seconde avant de se jeter sur moi. J'eus juste le temps de faire un pas en arrière puis de courir à travers ce gigantesque labyrinthe. J'entendais leurs pieds marteler le sol derrière moi, je ne pouvais pas me permettre un seul faux pas. Je faisais tomber les livres après mon passage, et cherchai du regard un objet pour me défendre, n'importe lequel. En pleine observation, je sentis l'agitation du sol se divisé en deux ; ils venaient de se séparer. Je tournai à gauche à la fin du couloir, juste avant de voir le deuxième démon se jeter sous la dernière rangée de livre, à deux doigts de me sectionner les tendons des chevilles. Je soupirai et l'enjambai, je l'avais évité de justesse. En rivant de nouveau le regard droit devant moi, je me rendis compte d'une évidence alarmante : j'arrivai au bout de l'étage. La barrière de protection stoppa ma course, j'étais bloquée. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir si les démons profitaient de la situation ; l'occasion était trop belle pour qu'ils ne la ratent. Je ne pouvais plus rien faire, à part sauter. Je penchai ma tête au-dessus du vide, il devait y avoir au moins 5 mètres. Je les entendais se rapprocher, le temps pressait et je n'avais plus le choix. Je pris une profonde inspiration et passai les deux jambes par-dessus la rambarde. La chute fut plus longue que prévu, l'impact plus fort aussi, je ne sentais plus rien à partir des cuisses. J'avais certainement endommager ma colonne vertébrale, et bien que je n'avais pas besoin de m'inquiéter de ma santé à long terme, être paralysée pendant une quinzaine de minutes le temps d'un combat peut vous coûter la mort, en particulier si vos assaillants sont vraiment très tenaces. De plus, mon bras était anormalement long, mon épaule devait s'être déboîtée. Je refoulai des grimaces de douleurs. Si j'avais le pouvoir de guérir de tout et n'importe quoi plus ou moins rapidement, celui d'enlever la douleur m'était partiellement exclu. J'avançai donc en rampant dans les couloirs du rez-de-chaussée, en essayant de contrôler le malaise qui me prenait. Je me dirigeai aussi vite que je pouvais vers la sortie, laissant mon instinct de côté pour le moment. Les démons n'avaient pas sauté, à moins qu'ils soient assez stupides pour tuer le corps humain qu'ils hantaient. Mais je ne pensais pas qu'ils prendraient le risque de redevenir des spectres juste pour mon humble personne. Le bruit de pas dans les escaliers donnèrent raison à mon hypothèse, j'avançai du mieux que je pouvais, accélérant le rythme. « Si je m'en sors, il faut que je pense à me muscler les bras » pensai-je, à bout de force. Il ne me restait que quelques mètres avant la porte quand un pied m'écrasa la main. Je laissai échapper un rugissement mécontent, en tentant de ravaler le sentiment d'humiliation qui me faisait horreur, ainsi qu'un poil de souffrance.

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⏰ Last updated: Feb 26, 2020 ⏰

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