Pensées.

Une soirée

- Eeet c'est une fin de tournage de notre meeerveilleux film, En pleurant !! s'écrie Mathieu.

Aussitôt, toute la petite troupe d'acteurs en herbe saute de joie. Ça y est, ils l'ont fait : ils ont enfin tourné le court-métrage qu'ils ont écrit jour et nuit pendant trois mois. Ah, ils en ont bavé, entre les disputes quotidiennes de Camille et de Solène, les réveils à quatre heures et demie du mat' pour avoir la meilleure lumière matinale possible, les couchers à minuit après de longues journées passées à répéter les mêmes scènes des dizaines de fois.

Et donc, aujourd'hui, mardi 3 juin 2020, à 19h53, Mathieu prononce la fameuse phrase que tous attendaient mais redoutaient. Ils l'attendaient avec tant d'impatience pour en finir avec ces journées épuisantes, ils la redoutaient car elle marquait la fin des plus beaux jours de leur vie.

- Les amis, je vous paie la tournée ! Tous au Publisher ! s'exclama Maxime.

- Vraii ? Officiel genre ? Mec, c'est la première que tu nous paies depuis qu'on se connaît wesh !

- Clément, on t'a déjà dit, calmos sur le langage, quand on sera en promo, ça va pas être possible ! le calma Manon.

- Mais tranquille wesh non ? Vas-y on verra sur le moment, venez on va plutôt fêter tout ça wesh !

- Aaallez, allons boire un coup à notre gloire ! fêta Camille.

- Y a encore le montage à faire. Et ça se trouve on va avoir zéro succès.

- Mais ta gueule Solène ! Profite, j'sais pas, savoure le moment non ? C'est une page qui se tourne, une nouvelle à commencer ! Po-si-ti-vi-té, lui martèle Manon.

Ils entrèrent dans leur pub habituel, après avoir laissé toutes leurs affaires de tournage dans l'appartement de Camille. Le Publisher était un pub sympathique, dans lequel se jouait tous les soirs un karaoke, et où ils avaient l'habitude de venir le vendredi soir, parfois également en semaine après un exam. C'est pourquoi, le barista leur lança un « Comme d'hab ? », et leur servit leurs boissons habituelles sans même attendre la réponse. Ainsi commença pour eux une soirée qu'ils n'oublieraient jamais, retrouvant au fil de la soirée leurs camarades de fac de cinéma, fêtant eux aussi la fin du tournage de leur projet de fin d'études. Les baristas leur laissèrent la salle dès 21h, la fac ayant finalement décidé de privatiser le pub pour récompenser les étudiants. Bref, une soirée inoubliable avait commencé.

Le lendemain...

Le Calvaire, cimetière.

Les familles s'éloignèrent des tombes, laissant la bande seuls devant. Personne n'osa parler. Manon laissa échapper sa première larme, bientôt suivie par les autres. Ils ne reverraient plus jamais Mathieu et Camille. C'était leur faute, mais les familles ne leur en voulaient pas, ce qui renforçait pourtant leur culpabilité. Ils n'avaient pas su réagir, ce soir-là. Lorsque Mathieu avait commencé à vomir, ils auraient dû s'inquiéter et réagir. Mais ils étaient tous trop soûls. Il avait glissé, et s'était étouffé dans son vomi. Puis Camille. Elle aussi s'était étouffée dans son vomi. Personne ne les avait vu souffrir dans leurs derniers instants, tous trop occupés à chanter et à se soûler. Lorsque la soirée s'était finie, vers 5h, ils s'étaient tous endormis dans la salle.

Les premiers à se réveiller, vers 10h, avaient émergé doucement, se remémorant en souriant leur belle soirée.

C'est en se levant qu'ils virent. Mathieu et Camille. Le vomi autour d'eux. Leurs yeux ouverts, exorbités par la douleur.

Ils crièrent. Longtemps. Réveillèrent les autres, qui s'en plaignirent. Qui réalisèrent à leur tour. Qui, affolés, cherchèrent à les réanimer. Bien sûr que c'était trop tard. Mais l'espoir n'a jamais tué personne, n'est-ce pas ? Ils essayèrent, encore et encore. Se résignèrent. Pleurèrent. Appelèrent alors les familles. Qui raccrochèrent immédiatement, sans répondre, avant d'arriver.

Et, c'est comme ça qu'ils se retrouvèrent tous les quatre, devant les tombes de leurs amis, sans parler, juste... les pleurant.