Une lettre spéciale

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« Mon cher Benjamin, mon Amour,

Je sais que tu ne liras jamais cette lettre, mais j'avais besoin de l'écrire. Ça fait plusieurs mois que ma psy essaye de me convaincre de le faire, mais c'était beaucoup trop difficile. Pas que ce soit facile aujourd'hui, bien sûr que non. Mais au moins je ne manque plus de fondre en larmes dès que j'ai mon stylo à la main. Ça fait un an jour pour jour que tu es parti. Et ça fait trois mois que ton numéro a été réattribué et que ce n'est plus ta voix que j'entends quand je tombe sur le répondeur. Tout le monde m'a dit d'arrêter, que ce n'était pas bon pour moi, que je me faisais seulement encore plus de mal. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Quand la personne a décroché pour la première fois, elle n'a pas dû comprendre pourquoi quelqu'un avait éclaté en sanglots à l'autre bout de la ligne. Alors maintenant je regarde les quelques vidéos que j'ai de toi. Ça aussi, ils m'ont dit d'arrêter. Ça, et de regarder les photos de nous deux, et de regarder ton film préféré, et de retourner dans les endroits où on avait l'habitude d'aller. Mais je ne peux pas. Parce que c'est tout ce qui me reste de toi, tu comprends ? Parce que je me suis fait la promesse que je ne t'oublierai pas, et que j'ai peur de ne pas pouvoir la tenir. J'ai peur d'oublier le son de ta voix, ou les traits de ton visage, ou cette manière que tu as de passer ta main dans tes cheveux quand tu es contrarié ou celle de froncer les sourcils quand tu réfléchis... Toutes ces manières que tu as. Non, que tu avais. Tous ces détails auxquels j'avais fini par ne plus faire attention et qui me manquent atrocement. Mais ces souvenirs, c'est tout ce qui me reste de toi. Parce que plus jamais je n'entendrai ton rire, plus jamais je ne pourrais admirer ton sourire. On ne pourra plus danser en pyjama au milieu du salon pour remonter le moral de l'autre, ou manger une pizza devant une série un peu stupide le samedi soir parce qu'on a la flemme de cuisiner et de sortir. On ne pourra plus imaginer la vie des passants pendant des heures, assis sur un banc dans un parc. Tu ne me prendras plus dans tes bras quand ça n'ira pas, je ne t'entendrai plus me chuchoter que tout ira bien. Tu sais, quand j'étais dans tes bras dans ces moments-là, je finissais toujours par te croire. Parce que tant que tu étais à mes côtés, j'avais l'impression que je pouvais affronter n'importe quoi. Mais tu n'es plus là. Difficile de se dire qu'un jour tout ira bien de nouveau. Ça me paraît impossible en réalité. Je sais que tu ne serais pas content de me voir toujours triste, parce que je t'avais promis de continuer à être heureuse même si quelque chose comme ça arrivait. Mais toi non plus tu n'as pas tenu ta promesse. Tu m'avais promis de ne jamais me laisser, et tu es parti. Au début, j'ai pensé à venir te rejoindre, pour qu'on soit de nouveau ensemble. Mais je n'ai pas pu. Je ne pouvais pas infliger la douleur que je ressentais à ma famille. Et surtout, je ne pouvais pas laisser ta petite sœur. On s'est beaucoup rapproché depuis un an tu sais. Tu serais content de voir que les deux femmes de ta vie s'entendent aussi bien. C'est devenu ma meilleure amie, notamment parce que les nôtres ont finies par nous laisser tomber quand elles se sont rendu compte que nos dépressions commençaient à durer. Mais toutes les deux, on se comprenait, on savait ce que traversait l'autre. Entre nous, pas de fausse sympathie ou d'hypocrisie.
Tu aurais détesté ton enterrement, tu n'imagines même pas. Toutes ces personnes faussement larmoyantes qui te connaissait à peine et qui se rappelait de toi comme si tu étais un de leurs amis proches. Ou comme si tu étais parfait. Alors que franchement, tu m'excuseras, j'étais bien placée pour savoir que tu ne l'étais pas. Mais je t'aimais comme tu étais, avec tes qualités et tes défauts. Ton grand frère était là à l'enterrement. Je sais que vous avez toujours eu un peu de mal avec l'autre et que vous étiez fâché, mais tout le monde savait que vous vous aimiez beaucoup. Si tu savais comme il avait l'air dévasté ce jour-là... Même Victor n'a pas réussi à le faire sourire. D'ailleurs, il ne comprenait pas pourquoi tout le monde était si triste, et on a eu du mal à lui expliquer pourquoi il ne reverrait plus son oncle préféré. Mais il va bien. Il va même être grand frère ! Ils vont mieux. Ils vont tous mieux. Au début, je leur en ai voulu, je ne comprenais pas comment ils pouvaient t'oublier et passer à autre chose comme si tu n'avais jamais existé. J'ai crié, je me suis énervée, j'ai dit des choses affreuses que j'aurais pas dû dire. J'ai passé des jours entiers dans mon lit à pleurer ou à fixer le vide en silence. Je n'ai presque pas dormi ou mangé. On aurait presque dit les jours après que tu nous aies quitté. Sauf que cette fois-ci, personne n'était à mes côtés. Tout le monde m'avait tourné le dos. J'ai failli venir te rejoindre pendant cette période, comme ça j'arrêterais d'être un fardeau pour tout le monde. C'est ta petite sœur qui est arrivé à temps pour m'en empêcher.

Tu sais, le jour où tu m'as demandé en mariage est l'un de mes plus beaux souvenirs. Un souvenir que je chérirai toute ma vie. C'était un moment parfait. Une demande sur la plage derrière un coucher de soleil magnifique et la plus belle déclaration d'amour qu'on m'ait jamais faite. Je suis sûre que le jour de notre mariage aurait été le plus beau jour de ma vie. Ou un des plus beaux, avec la naissance de nos enfants. On aurait été tellement heureux.
Tu sais, si je t'écris aujourd'hui, c'est parce que j'ai enfin la force de venir te demander pardon. Si tu savais comme je m'en veux. Après tout, c'est de ma faute si tu n'es plus là. C'est à cause de moi que tu t'es retrouvé sur cette route par une nuit d'orage et que tu n'as pas pu éviter la voiture qui fonçait sur toi. Ça faisait quelques temps que ça n'allait plus, entre ton travail, le mien, la préparation du mariage... On a laissé la routine, le quotidien, la fatigue et tous ces détails futiles se mettre en travers de notre bonheur. Ce soir-là, c'était notre plus grosse dispute. On criait, mais sans s'entendre. On attendait que l'autre ait fini de parler, mais sans l'écouter. On ne se comprenait plus. Je me sentais si loin de toi tout à coup. J'ai dit des mots que je regretterai toute ma vie. Je t'ai reproché tout un tas de choses, certaines sans importance, d'autres pour lesquelles j'avais aussi une part de responsabilités. Je t'ai même dit que je n'étais plus sûre de vouloir me marier avec toi. Et tu es parti faire un tour en voiture pour éviter d'empirer les choses. Maintenant, j'aimerais tellement que tu puisses m'entendre te dire que je ne pensais pas ce que j'ai dit, que tout ça n'avait pas d'importance, qu'évidemment que je voulais me marier et passer le reste de ma vie avec toi, que tu étais l'amour de ma vie, que je t'aimais tellement. Je n'ai même pas pu te dire une dernière fois que je t'aimais. Tu es parti en pensant que je ne croyais plus en nous. Et ça me brise le cœur peut-être encore plus que le simple fait que tu ne sois plus là. Je ne me pardonnerai jamais ce que j'ai causé cette nuit-là. Parce que c'est de ma faute si tu es mort. J'ai demandé à mon père comment j'allais faire pour vivre alors que tu n'étais plus là, comment je pourrais être de nouveau heureuse sans toi à mes côtés. Tu connais mon père, il a des réponses toujours un peu mystérieuses. Il m'a dit : « Tu sais, quelques fois les questions sont compliquées, mais les réponses sont simples ». J'imagine qu'il voulait dire que même si aujourd'hui ça me semble impossible, j'apprendrai un jour à vivre sans toi, et qu'il faut juste que je laisse faire le temps.

Voilà, c'est ce que je voulais te dire. J'espère que tu es bien là où tu es et en attendant de venir te rejoindre, je vais continuer ma vie sur Terre. Il est temps que je te laisse partir.

Je t'aime,

Adeline »

Adeline essuya ses larmes et déposa sa lettre ainsi qu'un bouquet de fleur sur la tombe de son bien-aimé. Elle resta immobile quelques secondes, puis se résolut à sortir du cimetière, marchant vers l'inconnu pour la première fois depuis un an.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 30, 2023 ⏰

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