Partie 1

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Il y a des marches à monter, un hallm un panneau indiquant "Bureau du Maire".
   Je m'appelle Leila, vingt et un ans, née en France et marocaine de tradition. Cette tradition est aujourd'hui encore toute-puissante à mes côtés : mon père.
   Il n'est ni religieux fanatique ni méchant. C'est un homme respectable et respecté. Il bat sa fille lorsqu'elle lui désobéit, il m'a élevée ainsi, dressée à l'obéissance et à la soumission. Il m'a donc battue pour que j'épouse l'homme qui monte les marches devant moi.
   Je me marie devant l'administration française avec un homme que je ne connais pas. Ce n'est donc pas un mariage mais une formalité forcée. Je pourrais me sauver, dévaler cet escalir à l'envers et crier au secours. Si je le faisais, ma vie ne m'appartiendrait pas pour autant. Une fille éduquée dans cette tradition ne peut et ne sait pas vivre en dehors de la famille et de la protection de ce père dont le rôle est de donner cette fille à un autre protecteur : le mari choisi par lui.
   Je suis née dans ce quartier, le registre de l'état civil de cette même mairie a enregistré ma naissance, je suis supposée avoir des droits, mais ils me servent à rien. A qui m'adresser? A une assistante sociale? Il s'agit d'une affaire privée, elle n'aurait rien à en dire. A la police? On me répondrait que je suis majeure et que je n'ai qu'à dire non. Par principe, en démocratie, le mariage forcé n'existe pas. Mis si je disais no devant monsieur le maire, je ne serais pas délivrée pour autant car on m'a déjà mariée officiellement au Maroc et, même si ce mariage n'est pas reconnu en France, pour mon père et toute la communauté du quartier je serais définitivement condamnée, considérée comme une "mauvaise fille", et bannie si je refusais d'accomplir l'ultime formalité en France. Je ne pourrais plus jamais retourner au Maroc librement, mon "époux" aurait le droit de me faire rechercher et de me répudier ensuite. Or la répudiation d'une fille est, aux yeux d'un père traditionaliste, la pire des humiliations.
   J'avais rêvé d'un mariage d'amour, de rencontrer celui que toutes les filles attendent. J'aurais eu une belle robe blanche, un bouquet de fleurs, comme dans les histoires romantiques, j'aurais sourri en haut des marches, toutes mes amies serraient venues m'enbrasser et me féliciter. J'aurais quitté ma famille pour un petit appartement rien qu'à "nous", pleuré d'émotion, embrassé mon père, ma mère et tous mes frères pour courir vers le bonheur et la liberté que j'espérais depuis toujours.
   La formalité n'a duré que dix minutes.
   L'inconnu a maintenant ce qu'il voulait, et ce n'était pas forcément moi, Leila. N'importe quelle Maghrébine née en France aurait fait son affaire, pourvu qu'elle soit vierge et de bonne famille. Mon père ne m'a même pas "vendue" à cet homme, comme c'est parfois le cas. Il croit simplement à la tradition des mariages arrangés entre familles, il est sincère dans son obstination à me faire obéir, rentrer dans le rang, il ne supporterait pas que sa fille vive autrement.
   Ma tête est vide. Je ne suis pas là, cette journée n'existe pas, je l'ai rayée d'avance de mes pensées.La tête dans le sable comme une autruche espérant je ne sais quelle intervention du destin pour me tirer de là - la fin du monde, un tremblement de terre, que quelqu'un se lève et dise : "La loi française n'autorise pas les mariages forcés! "
   Il n'y avait personne d'autre que nous dans ce bureau, à part deux témoins de circonstance, et la terre n'a pas tremblé. le maire ne s'est pas posé de question, il en a vu d'autres, de ces mariages à la sauvette et sans cris de joie. J'ai dit oui d'une voix qui n'était pas la mienne, signé un papier que je ne voyais même pas, tant mes yeux étaient brouillés de larmes sous le regard autoritaire de mon père. A la moindre révolte, il m'aurait rouée de coups et expédiée au pays, ou jetée à la rue. J'aurais dû fuir dans un foyer, livrée à une liberté qu'il ne m'a jamais apprise et me fait terriblement peur. L'intégration passe par la liberté de dire non. Je n'ai jamais été libre d'enfreindre cette loi non écrite.

Mariée de forceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant