Chapitre 2

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Le petit groupe amorce lentement la dernière partie du chemin qui mène au village, la pente est raide, le poids de la journée pèse dans les muscles. Ces hommes ont des carcasses solides et pourtant en fin de journée chaque fibre de leurs corps est sensible. Heureusement la perspective de retrouver leurs foyers et leurs familles les soutient dans cet ultime effort.

-Bonjour les amis!

-Tiens voilà Ferruccio! lance Onorato, le plus jeune de la fratrie Riz.

-Votre journée est finie. Pas pour moi encore. Je dois livrer ces quelques pièces de viande, je descends au carrefour de Campiglia, des clients de Biella m'attendent à l'auberge Asmara.

-Ne tarde pas trop! A cette époque de l'année la nuit tombe plus vite.

-Ne t'inquiète pas Luigi! Je serai de retour pour déguster la délicieuse polenta de ta mère!

Tous éclatent de rire. Ferruccio a un don inimitable pour la plaisanterie. Mais c'est un garçon extrêmement futé et qui avec humour arrive souvent à ses fins. Tous les membres du clan Riz-Mosca l'apprécient. Ce garçon arrivé de nulle part, un soir d'hiver, sans parent, adopté par le père Giovanni, curé du village, a approximativement l'âge d'Antonio et de Luigi. Désormais, il est ami avec tous les enfants des deux familles. Depuis ce jour fameux, où dans la cour de l'école, alors que Ferruccio était malmené par un petit groupe de garçons particulièrement stupides se moquant de sa mise humble et de son air inquiet, Luigi et Antonio ont bondi sur la bande, ont sorti Ferruccio de sa mauvaise posture à grands coups d'épaules et de poings. En un déclic le garçon fut adopté par ses sauveurs et leurs fratries. Les années ont passé et rien n'a ébranlé ce lien de coeur. Fort débrouillard, Ferruccio a convaincu un propriétaire terrien de s'occuper des quelques bêtes qu'il possédait. Depuis, il occupe une grange qu'il a restaurée de ses mains sur le plateau qui surplombe le village. Il élève les bêtes et quand il le faut, il en abat une, la découpe et vend les morceaux de viande. Selon l'accord conclu avec le propriétaire du cheptel, il prélève sur le produit de la vente un petit pécule pour lui. Ferruccio a toujours refusé de travailler la pierre comme tous les hommes de la vallée. Il ne possède rien mais est très sourcilleux sur sa liberté. Ne rendant des comptes que deux fois par an à son patron, il s'estime extrêmement chanceux. Rien n'est plus beau à ses yeux que de parcourir les flancs de cette vallée.

-Cette nature m'enchante.

 N'arrête-t-il pas de dire à qui veut l'entendre ou de le chanter sur sa mandoline. Ferruccio est naturellement doué pour le chant et la musique. Il a gagné ainsi toute l'affection d'Esterina qui elle aussi adore chanter et le fait à la perfection. Ensemble, ils ravissent leur auditoire, que ce soit dans l'intimité familiale et des amis ou pour un plus vaste public lors des soirées festives de village

 Généralement c'est un triomphe.

Ferruccio en remontant vers le village siffle gaiement, il est satisfait. Son petit commerce a bien fonctionné. Et c'est avec une joie non contenue qu'il agite les pièces gagnées dans sa poche. Bien sûr, la plus grande part ira à son patron, mais peu importe, sa cagnotte grossit. C'est tout ce qui l'intéresse, faire le plus d'économies possibles pour pouvoir un jour se marier et gâter son amoureuse. Un sourire un peu niais lui barre le visage.

-Ah, si cela pouvait être Lila! Il serait le plus heureux des hommes! Aussi loin qu'il se souvienne, c'est toujours Lila qui a hanté ses pensées amoureuses. Tout chez elle lui plaît. Elle est si belle. Il n'est malheureusement pas le seul à le penser dans le village. Ferruccio l'a bien noté, pas un homme, pas un garçon du village ne regarde Lila avec indifférence. Même son père Pietro, pourtant si réservé voire austère, au point d'impressionner Ferruccio, même lui, quand il regarde sa fille, son regard s'adoucit et un coin de ses lèvres esquisse un sourire. Plongé dans ses pensées, Ferruccio finit par entendre sept heures sonner au clocher du village. A haute voix, il finit par dire:

-Bon, c'est impossible de remonter jusqu'à la grange, il fera trop sombre. Je vais chez le père Giovanni.

Il frappe à la porte du presbytère. Il entend le pas traînant du prêtre.

Avant même que la porte s'ouvre, il lance:

-Père Giovanni, c'est moi Ferruccio, pouvez-vous m'héberger pour la nuit?

La clé claque dans la serrure, ce bruit Ferruccio le connaît si bien. Il sent monter en lui une bouffée de tendresse pour ce vieux prêtre, un peu sourd, un peu radoteur mais à qui il doit sans doute la vie et le bonheur de faire partie de cette communauté.

-Ah Ferruccio que je suis content de te voir! Rentre vite la soupe est prête, Esterina m'en a préparé et Rosa m'a donné une énorme part de polenta. On va se régaler!

Le père Giovanni a toujours eu un sérieux appétit et est d'une gourmandise à toute épreuve. Cette pensée amuse Ferruccio et il se met à ricaner.

-Qu'est-ce qu'il y a? Tu te moques de moi?

-Non mon père. Je suis heureux d'être avec vous et j'ai faim!

Alors le vieux prêtre farfouille dans la tignasse de Ferruccio, le prend par l'épaule et levant les yeux au ciel déclare.

-Je n'aurai qu'un mot. Alleluia!

l'amante religieuseWhere stories live. Discover now