Chapitre 3

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 Le Bois Roux, comme l'appelaient les gens du cru, était en réalité une immense forêt aux arbres denses et au terrain traître. Quelques sentiers la traversaient, mais Khulan savait qu'elle ne devait qu'à ses sens lupins de ne pas s'être déjà perdue au moins vingt fois depuis qu'elle y avait pénétré, tant la piste avait tendance à s'effacer derrière un buisson de fougères pour ne réapparaître qu'un peu plus loin, filant dans une direction tout sauf prévisible.

— Tu parles d'un bois, grommela la louve en levant son museau vers les frondaisons opaques. C'est plutôt la Forêt Fantôme de Bran-Mirvid, ici. Je suis sûre que la petite a été bouffée par des araignées rouges et que je suis la prochaine. C'est bien le genre d'endroit à avoir des araignées rouges. Saletés.

La guerrière claqua de la langue.

— Je déteste les araignées. C'est pas normal d'avoir autant de pattes. Pareil pour les yeux. À quoi ca leur sert, hein ? Moi, deux yeux ca me suffit bien.

Elle ferma un œil, puis l'autre, en observant les alentours.

— Je suis sûre qu'un seul ça irait, même.

Toujours en parlant toute seule, la roavdyr s'enfonça de plus en plus loin parmi les troncs, jusqu'à ce qu'il fasse presque aussi sombre autour d'elle qu'au coucher du soleil. Mais non, il n'était même pas quatre heures, l'informa son ventre. Simplement, elle était maintenant au plus profond de la forêt. Là où les seuls bruits étaient ceux des insectes, des oiseaux, et de l'occasionnelle bourrasque de vent venue punir l'intrus égaré. Le lieu parfait pour une embuscade d'araignées.

Khulan se risqua à crier à nouveau le nom de Rufina, comme elle le faisait de loin en loin depuis son entrée dans la forêt, et s'abstint de tout mouvement pour mieux écouter autour d'elle. Mais encore une fois, personne ne répondit. Avec un grognement frustré, elle se remit en marche. Cette histoire allait lui rajouter quoi, six, sept heures, une demi-journée de retard ? Au moins, personne ne l'attendait à Valarel. Elle était maîtresse de son destin, elle, Khulan la mercenaire. Enfin, est-ce qu'elle était encore mercenaire ? Elle avait quitté la compagnie de manière un peu turbulente après tout. Il y avait eut des lèvres fendues, des nez cassés, peut-être une épaule déboîtée ou deux. La prochaine fois qu'ils emploieraient une roavdyr et qu'elle refuserait d'aller terroriser un village de paysans qui ne pouvaient pas payer l'impôt, peut-être qu'ils n'essaieraient pas de la forcer. Contrat ou pas.

Un carillon d'alarme à l'arrière de son crâne la tira de ses réflexions, le même qui essaye de vous avertir quand le langage corporel du type en face de vous a changé et qu'il va se produire quelque chose de fâcheux pour vous ou pour lui. Les araignées rouges ! Elle avait relâché sa vigilance et voilà qu'elle était encerclée ! Empoignant une des hachettes à sa ceinture et déjà prête à la lancer, Khulan tourna sur elle-même pour prendre la mesure de ses attaquants. Un grognement sourd monta de sa gorge ; le premier à se montrer se la prendrait entre les yeux.

Terrorisé, un petit écureuil décampa de la souche où il s'était perché. Plus loin, un crapaud croassa et tourna paresseusement le dos à la guerrière, qui tenta de ne pas laisser transparaître à quel point elle se sentait idiote, là tout de suite. Il n'y avait pas d'embuscade d'araignées, grandes ou petites. Qu'est-ce qui l'avait alertée, dans ce cas ? L'endroit était parfaitement normal ; les mêmes bruits d'oiseaux, les mêmes craquements de branches, la même odeur de pâtisserie... Khulan cligna des yeux et renifla autour d'elle d'un a concentré. Oui, il y avait bien une odeur saugrenue qui flottait dans l'air, à la limite de ses perceptions. Une odeur de sucre, de pâte et de beurre.

Une odeur de galette. Peut-être même de la meilleure galette de la région.

Perdue en forêt - une aventure de KhulanWhere stories live. Discover now