Chapitre 15

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Mon ventre est plein, ma tête tourne un peu à cause de l'alcool et mon esprit évolue dans une brume joyeuse. Calé dans mon canapé, pieds posés sur ma table basse avec Logan à mes côtés, je me sens heureux comme je ne l'ai plus été depuis des lustres.

Mon invité est dans la même posture que moi, les mains sur son ventre, la tête en arrière et les yeux clos. Il s'est resservi deux fois de mon parmentier, ce qui m'a rendu aussi content que fier.

Après, tout comme moi, il paie le contrecoup de la digestion. En particulier car il a adoré le vin que mon père m'a offert la semaine passée. Je ne peux pas empêcher un sourire idiot de se peindre sur mon visage tandis que je le regarde, repus, avec ses longs cils que je trouve hypnotiques.

Je sais que je ne devrais pas le fixer de la sorte. C'est un peu creepy, niais et plus digne d'un adolescent que d'un adulte.

Sauf que je trouve ça si apaisant. Être au calme, chez moi, en bonne compagnie. À contempler une personne qui se sent suffisamment en confiance avec vous pour se laisser aller.

En tout cas, je le prends comme ça. Pas comme un silence gênant car tous les sujets de conversations se sont taris. Juste profiter de l'instant.

Dans ma tête, tout est apaisé. Pas de Monstre. De pensées intrusives. De doutes.

J'ignore depuis quand cela ne s'est plus produit. D'aussi loin que mes souvenirs le permettent, il y a eu toujours un incessant brouhaha. Qui s'atténue certains jours, s'amplifie d'autres.

Cette absence de bruits parasites ne me manque pas. J'espère juste que cela durera encore un peu. Longtemps même.

—Quelle heure il est ? me demande Logan, les yeux toujours fermés.

Je jette un oeil sur l'horloge et, à ma plus grande surprise, remarque que le temps a passé beaucoup trop vite.

—Presque vingt-deux heures trente. Tu dois rentrer c'est ça ?

D'un coup, la brume de joie se dissipe. Je ne veux pas que tout s'arrête ici. Cela m'a semblé si court. Entre les rires, les discussions longues, passionnantes et passionnées sur nos loisirs respectifs, nos souvenirs d'école...

C'est comme arracher un jouet des mains d'un enfant le jour de Noël. Beaucoup trop dur et cruel.

—Absolument pas, me répond alors Logan en battant plusieurs fois des cils. C'est juste pour prévenir ma mère que je rentrerai tard. Pas qu'elle s'inquiète hein, pour le peu que je la vois...

Il se redresse, sort son téléphone de la poche arrière de son jean et se met à taper à toute vitesse. Si je dois admettre que cela me réjouisse qu'il veuille encore prolonger le moment, une petite pointe de culpabilité montre le bout de son nez.

—T'as pas vu ta maman de la semaine vu que tu kotes. Donc si tu veux rentrer, je peux comprendre.

Logan émet un petit reniflement suivi d'un signe négatif de la tête.

—Je vis très bien le fait de ne pas voir ma mère pendant longtemps. Je supporte pas mon beau-père et son fils encore moins. Je la préviens juste qu'il est possible que je rentre très tard.

C'est la première fois que les traits de son visage se durcissent et que sa voix se fait plus amère. Je ne suis pas devin ni expert en sociologie, mais je sens qu'il y a quelque chose d'assez lourd entre eux deux.

Sans doute cela vient-il aussi du fait qu'on dirait un peu moi quand je parle des rapports que j'entretiens avec ma propre génitrice. Sujet que j'évite avec soin, vu le nombre de fois où l'on m'a dégainé des inepties telles que « Oui mais c'est ta mère, tu dois la respecter ».

Ce qu'il reste de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant