Je suis née en 1990, en pleine guerre d'indépendance contre l'Éthiopie.
Durant les premières années de ma vie je n'ai connu que la violence et le sang. Je n'ai jamais connu mon père, qu'une bombe m'a enlevé lors d'un raid aérien. En 1998, après le référendum de 1993 qui a aboutit à l'indépendance de notre pays, une nouvelle guerre a éclaté, m'ôtant cette fois ma mère. A 10 ans je me retrouvais orpheline, obligée de vivre sous le même toit que mon oncle, un homme cupide, froid et sans cœur. Quand il ne me battait pas, il m'enfermait, parfois toute la journée, sans manger ni boire, dans la petite pièce sombre et insalubre qui me servait de chambre.J'allais à l'école évidemment mais j'y allais couverte de bleus, faible et soumise. Car chaque matin il me répétait que si je parlais à quelqu'un de ce qu'il me faisait, il me tuerait.Alors je me taisais...
En attendant, malgré mon jeune âge, je voyais bien que la situation en Érythrée était en train de changer d'une manière dont peu de gens encore ne soupçonnaient l'ampleur. Les forces de la libération se sont muées en parti unique, qui abuse de la répression, tandis que notre « héros »de la guerre d'indépendance, basculait dans le totalitarisme.L'Érythrée se changeait peu à peu en prison et Issayas Afeworki qui avait suscité l'espoir et l'admiration de son peuple, devint très vite le pire dictateur du continent africain ! Aujourd'hui notre pays est bouclé, tout le monde est surveillé, placé sur écoute, même l'accès a internet est limité. Les arrestations se sont multipliées et plus de 10 000 prisonniers politiques croupissent en prison dans des conditions atroces, sans aucun contact avec leur famille. Mais tous ça, on ne faisait que le remarquer car la presse n'a plus aucune liberté et presque tous les articles, sauf ceux de propagande qui flattent l'image de notre dirigeant et de son parti, sont censurés.
Beaucoup de gens tentent de fuir à cause de toutes répressions, mais moi comme beaucoup de jeunes, c'est le service militaire qui a brisé la dernière corde qui me rattachait à mon pays.
A 17 ans j'ai été enrôlée dans l'armée. Officiellement le service militaire est limité à 18mois mais ça aussi c'est une illusion ! Car en réalité, ce service n'a pas de durée déterminée et peut se prolonger indéfiniment, durant des années et des années, parfois même toute une vie.
Durant toute la durée de ce service, nous n'avons droit à aucun contact avec nos familles, c'est ainsi que j'ai été enfin séparée de mon oncle.
Mais c'était comme passé de Charybde en Scylla. J'ai été soumise à ce qui s'apparente plus à du travail forcé, dans des conditions très dures. Le trajet jusqu'au camp de Sawa dura 10 jours. J'ai l'ai découvert à la tomber de la nuit. Tout le monde est descendu du bus, on s'est mis en file indienne, et ils nous ont fait mettre à genoux, mains sur la tête. Puis ils ont constitué des groupes en faisant bien attention de séparer ceux qui se connaissait, je me suis retrouvée seule, assignée au bloc 20.
A Sawa, la peur et la fatigue n'avaient rien de fictif. Il m'a bien fallu deux mois sous un soleil de plomb et une chaleur harassante pour que je m'habitue a ce nouveau rythme de vie. Réveillés à l'aube par des sifflets, nourris de lentilles bouillis et de thé, nous étions astreint de marcher durant des heures et à nous entrainer à tirer sur des cibles. Tous les repas étaient pris en silence et les feux devaient être obligatoirement éteint dès vingt heures.
Les règles sont strictes, à la première erreur les soldats te font courir trente minutes et à la seconde ils te font courir durant deux heures sous la chaleur du midi, au moment où le soleil est le plus chaud. Ils peuvent aussi te frapper avec des bâtons. Il arrive fréquemment que certains jeunes s'évanouissent ou tombent malades mais ils ne te soignent pas, privilégiant l'entrainement aux médicaments.
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Eman BAYSA : Un périple pour la Vie
General FictionTémoignage d'Eman Baysa, une migrante Érythréenne de 28 ans, qui a courageusement enduré les souffrances d'un périple long d'environ 2 ans, afin de fuir un pays où les citoyens sont sevrés de leur liberté et de leurs droits fondamentaux. Ce témoign...