Broadway | 07:43 | Avril 1961
C'était un mardi matin aux heures de pointe, copie parfaite de tous les autres, l'euphorie et l'impatience se mêlaient et créaient une foule agitée. Ce phénomène semblait se répéter partout, de South Street au Financial District en passant par Broadway.
Comme un tumulte contagieux, les piétons se bousculaient, le regard sur leurs montres par peur d'être en retard au bureau. D'autres faisaient leur jogging au bord des quais, chiens et baladeurs en bonus. Monsieur Zanetti ouvrait les stores de sa cafétéria « Al Dente » et comme à chaque fois, une fumée parfumée jaillissait des cuisines, la gastronomie italienne embaumait toute la rue.
J'habitais dans un taudis d'étudiant avec le strict nécessaire pour vivre décemment.
Les rideaux en kilt écossais étaient comme imprégnés d'humidité, les trajets de l'eau des voisins dans les murs et le journal de 20h volume à fond chez mademoiselle Vargas me donnaient des migraines incurables. J'étais logé dans un très vieil appartement poussiéreux et le ménage n'y changeait rien, mon bâtiment colorait la rue par ses briques rouges et ses grandes portes d'entrée en bois de chêne massif du 18e siècle, ajouté à cela d'énormes grilles en fer forgé et d'immenses poignées en cuivre oxydées par le temps. Bien évidemment ce n'est pas ce qui m'intéressait quand j'ai emménagé ici. Ni l'espace, ni la propreté puisque vraisemblablement je ne disposais d'aucun des deux. Je recherchais la lumière naturelle, le soleil. J'avais la chance de le voir chaque jour quand il se couchait derrière les pollutions architecturales de la métropole qu'on appelle plus communément buildings. Je vivais dans une seule pièce, elle était décorée de tapisseries roses orangées et mes pieds avaient le droit à une moquette marron nuancée, dans l'angle à gauche de mon canapé le marron s'apparentait à du noir, c'était la joie d'avoir une moquette qui avait recueillie toutes les bactéries des anciens locataires. J'imaginais tous les scénarios pour expliquer comment certaines tâches avaient pu apparaître dans cette chambre. J'avais un canapé en cuir rouge tout neuf avec 6 coussins en velours délicatement posés dessus, la cuisine était tout ce qu'il y'avait de plus classique à l'époque.
Le strict nécessaire. Encore.
Cet appartement me suffisait. Je venais d'avoir 20 ans, le 6 avril 1961 j'étais là, le bras courbé, à entrevoir le train-train quotidien des piétons derrière mes rideaux. Je m'appelais Light, du moins, c'est mon carnet de naissance qui le disait puisque je n'ai jamais eu la malchance de connaître mes géniteurs. Pourquoi ce terme ? Ils m'ont abandonné à l'aube de mes 3 ans d'existence. Ils ne pourront jamais être mes véritables parents. Vous voulez d'autres informations sur moi, n'est-ce pas ? Vous-même en tant que lecteur vous éprouvez des difficultés à vous décrire quand on vous le demande, enfin.. Je ferais de mon mieux.
À quoi je ressemblais en 1961 ? J'étais un brun aux cheveux longs d'1m75 de haut, j'avais les yeux gris (ne vous inquiétez pas je les aies encore) et un teint blanc hivernal. Mon nez n'avait rien de disgracieux ou de particulier. Une barbe royale entourait mes lèvres pulpeuses et mes vêtements s'accordaient parfaitement avec les années 60-70. J'étais un gamin classique en accord avec mon temps ; rebelle et négligé.
Ce jour-là nous étions donc le 6 avril, premier entretien d'embauche, premier smoking, première cravate et malheureusement dernière barbe si je venais à être embauché.
Ce costume, je l'avais emprunté à mon voisin qui travaillait dans le juridique. Il avait un nombre incalculable de cravates à motifs et teintes différentes, des ensembles complets à carreaux et au moins 5-6 paires de chaussures de villes ; des souliers, des mocassins, des Derbies, des Brogues.
Ça en devenait presque gênant.
Elles brillaient toutes, comme sorties d'usine. Il m'avait offert sa vieille paire de Richelieus et je ne pouvais que le remercier pour ce généreux cadeau.Je les avais aux pieds, ce jour ci.
Cirées pendant une éternité... Et même l'éternité ne suffisait pas. Elles demeuraient imprégnées d'une pellicule grise leur donnant une teinte cendrée. Ces chaussures allaient m'accompagner un long moment encore.
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Le phare des vapeurs
Misterio / SuspensoCe récit retrace les meilleures années d'un certain Light, nihiliste à ses heures perdues, partant à la recherche de son frère aîné, en quête de réponses.