Partie 37

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Allongée sur le lit confortable de la chambre que la trop mielleuse Lisa m'a attribuée, je fixe le plafond immaculé, perdue dans mes pensées. Dans cette grande pièce, je dispose de tout ce qu'il me faut pour m'épanouir, ou presque. Le matelas moelleux qui me porte est radicalement différent des vieux matelas du pensionnat de Suwan trop dur, et une fraîche odeur de lessive se dégage des draps de lin couleur anthracite. Je dispose également d'un grand bureau d'angle en chêne brûlé qui compte plusieurs espaces de rangement, deux petites étagères et tout le matériel dont je puisse rêver pour écrire, dessiner, colorier, tracer, calculer, bref... étudier. De l'autre côté de la chambre, deux fauteuils Diamond encadrent une petite table basse en verre. Juste à côté se trouve également un canapé style scandinave couleur gris souris. Enfin, sur ma gauche, je bénéficie d'une vue incroyable sur le "jardin social" : un espace vert d'une taille moyenne, encadré d'arbres feuillus et de fleurs magnifiques.

 A en juger par toute cette décoration, je soupçonne le conseiller Farwell de m'avoir spécialement réservé cette suite. Je doute que toutes les chambres du Cerbère soient aussi spacieuse et bien équipée.

 Cela doit bien faire une bonne demi-heure que je fixe le blanc parfait du plafond au dessus de moi, la tête ailleurs. Depuis que Samuel m'a attrapé dans ses bras, toutes mes pensées sont focalisées sur lui. Et pour une fois, je sais que ce n'est pas à cause de ces fichus pouvoirs. Non, cette fois c'est bien moi qui contrôle l'affaire. Ou plutôt, qui ne contrôle plus rien du tout... Car si au début j'étais en colère contre lui, et contre les faux sentiments qu'il avait implanté en moi, aujourd'hui j'ai bien l'impression qu'ils ne sont plus aussi factices. Depuis que nous l'avons sauvé de la Confrérie, et qu'il est revenu dans mon quotidien, tous les petits moments que nous avons partagé ensemble sont venu calmer la frustration en moi. Et même si les dons de Sam ont également contribué à canaliser ma colère, il n'a pas renforcé les sentiments déjà bien présents dans mon cœur. Je suis même sûre qu'il aurait préféré se débarrasser de ce problème assez gênant. Après tout, je ne suis qu'une erreur pour lui. Un "petit dérapage" de ses débuts.

 Alors que mon cœur peiné me fait souffrir silencieusement, un petit couinement s'élève dans la pièce, à peine perceptible. Intriguée, mais surtout anxieuse, je me redresse sur le matelas moelleux et chasse les mauvaises pensées de mon esprit.

 Le bruit semble provenir de mon sac à dos en cuir, que j'ai laissé fermé sur la table basse en verre. Curieuse, mais peu rassurée, je descends du lit et m'approche dudit sac, hésitante. Alors que l'épisode dans la voiture me revient en tête, la tension s'intensifie dans la pièce et presque malgré moi, mon pouvoir s'active tout seul, inondant mes poings d'un feu éclatant. Et si c'était un piège tendu par les sœurs originelle ? Et si quelque chose de monstrueux m'attaquait sauvagement ? Une bête envoyée contre moi, dans le but de m'affaiblir pour mieux m'atteindre par la suite ?

Alors que j'atteins finalement la grande besace, quelque chose remue à l'intérieur, m'arrachant un glapissement de stupeur. D'un geste tremblant, je défait les cordons qui enserrent l'ouverture, et soulève le capuchon avant de reculer d'un pas. Les couinements s'arrêtent presque instantanément, et une petite gerbille au poil noir et brillant sort du sac, les yeux pétillants de malice. Je crois même la voir me faire un clin d'œil !

Toujours aussi peu rassurée, j'avance mes poings devant moi, en position de défense.

— Qui que vous soyez... montrez-vous ! Je... je n'ai pas peur !

Bon, niveau crédibilité, on repassera...

La gerbille semble me regarder droit dans les yeux tout en descendant de la table basse, et s'arrête à une vingtaine de centimètres environ. Je résiste à la forte envie de prendre mes jambes à mon cou, mais ne peux m'empêcher de reculer d'un pas. Alors que j'ouvre la bouche pour tenter vainement de faire disparaître l'étrange rongeur, la peau de la gerbille enfle bizarrement et la petite bête gonfle comme un ballon. Ses poils se recouvrent d'une matière noire visqueuse, semblable à celle qui composait l'entité qui m'avait sauvée de ma fusion avec l'opale de Suwan. Peu à peu, l'animal prend forme humaine, et les traits familiers de Nao remplace rapidement ceux de la souris. Mais bien sûr ! Comment n'ai-je pu y penser plus tôt ?

— Nao ? je demande avec étonnement en baissant les bras. Mais qu'est-ce que tu fais là ?!

— Curtis nous a tous prévenu que tu allais partir sans laisser de trace et qu'on ne te reverrai sûrement pas avant longtemps, répond-il.

— Et ?

— Si Suwan est obligé de t'envoyer sur un autre continent, loin de son pensionnat et de ses affaires, c'est que la situation est grave, remarque-t-il en haussant un sourcil. Et si Curtis m'a fait part de sa vision, c'est qu'il sait quelque chose dont il n'a pas le droit de parler, mais qu'il veut que j'agisse pour lui. Quand Suwan t'a fait venir dans son bureau avec Samuel et l'autre garçon, j'ai écouté votre conversation derrière la porte, et j'ai suivi toute cette histoire de sœurs originelles et de conquête du monde. J'en ai donc déduis que Curtis voulait que je t'accompagne ici, mais je ne comprends pas encore toutes les subtilités de son plan.

— Attend, attend... l'ai-je arrêté. Tu es en train de m'expliquer que Curtis savait pour les Alphas et leur envie de pouvoir, qu'il t'a implicitement envoyer espionner Suwan pour que tu décides, par toi même, de quitter clandestinement le pensionnat pour me suivre à Détroit, et que tout cela participe à un plan qu'il aurait concocté après sa dernière vision sur mon départ ? Tu es bien conscient que tout ça n'a pas de sens, n'est-ce pas ?

— Ecoute-moi juste une minute, s'il te plait, me demande le garçon en attrapant mes mains et en s'asseyant sur l'une des chaises design. Je sais que dit comme ça, ça parait insensé. Après ton duel avec Evelyne, Curtis est venu me trouver pour me parler de sa vision. Or, jusqu'à maintenant, il n'en parlait qu'à Suwan ! S'il est venu à moi, c'est vraiment qu'il n'avait aucune meilleure option. Il m'a dit : "Alexia et Samuel vont partir dans la journée, et si on n'agit pas, on ne les reverra sûrement jamais". Je ne l'ai jamais vu aussi sérieux. Après cela, il ne m'a rien demandé, hormis le fait de veiller sur toi pendant que tu récupérais de ton altercation avec Evy. Réfléchis un peu, Alexia. Je suis presque certain qu'il en a vu plus qu'il ne m'en a dit, et qu'il a tue une partie de l'histoire car cela aurait sûrement celé l'avenir qu'il a perçu ! S'il m'a demandé d'être à tes côtés à l'infirmerie, c'est qu'il savait que Suwan viendrait te chercher, et qu'il voulait que je vous suive pour tout apprendre sur les dangers qui te guettaient. Curtis voulait que je vienne avec toi à Détroit.

— Mais pourquoi ? me suis-je exclamée en levant les yeux au ciel. Pourquoi Curtis t'enverrait-il seul à Détroit alors que j'ai déjà Samuel et Eishen comme baby-sitter ?

— Ça, je n'en ai aucune idée... souffle Nao, les yeux perdus dans le vague. Mais je sais qu'il avait tout prévu. En tout cas, maintenant que je suis là, je compte bien faire mes petites recherches sur les sœurs originelles.

Alors que je m'apprête à lui répéter une énième fois à quel point son idée est insensée, quelqu'un toque timidement à la porte, nous coupant net dans notre conversation. D'un signe paniqué, je dis à Nao de retourner dans le sac, mais la porte s'ouvre avant qu'il n'ait pu se transformer.

— Nao, le salue poliment Eishen avec un sourire énigmatique. Curtis m'avait prévenu que tu serais là. Dépêche-toi de trouver une nouvelle apparence, c'est l'heure du dîner. Il ne faut pas que Suwan te reconnaisse.

Bêta - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant