III

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Louise  prétendit ne jamais avoir entendu parler de l'auteur de cette lettre: un certain Edmond P, qui se disait être un ami cher.
Georges fut obligé de croire son épouse, car les promenades de Louise se faisaient rares et les nombreux convives qu'ils avaient pu recevoir n'étaient jamais revenus. C'était des mondains aux idées bien loins des leurs. Il était donc probable que Louise ne l'eut jamais connu, ou du moins pas intimement.
George partait souvent, certes, mais pas assez longtemps pour que sa femme eut un jour une quelconque occasion de se rapprocher d'un autre homme.
Ce Edmond P. fut ainsi jugé dangereux, tandis que ses lettres à l'intention de Louise Duroy affluaient.
Et la jeune femme, silencieuse, pensive, oubliait peu à peu l'angoisse de l'enfant, remplacée par celle d'un homme qui semblait trop bien la connaître. Elle se sentait épiée, sans défense, mais aussi curieuse.
C'est pour cela qu'elle lut tout de même quelques lettres: Edmond faisait part d'une extrême bienveillance à l'égard de sa destinataire. Le sentiment d'angoisse et de solitude de la jeune épouse devint bientôt celui d'une femme comprise. Il semblait vouloir lui venir en aide. Il parlait de petites affaires de la vie quotidienne puis sous-entendait un intérêt profond pour elle. C'était simple, poétique, un peu éperdu quelques fois, mais toujours bienveillant, ce qui donna à Louise l'envie de répondre.
Elle se sentait de lui partager sa souffrance, sa colère pour Georges et son profond désarroi vis à vis du futur enfant.
Ainsi, Edmond prit peu à peu une place importante dans le coeur de la jeune femme, qui était plus impatiente chaque jour de recevoir son courrier. Elle en oubliait ses tracas, et se montrait d'une gaieté presque enfantine.
Georges en était ravi et soulagé.
Mais, un soir, alors qu'elle s'était réfugiée dans le jardin, sa lettre en main, on la vit devenir folle.
Toute la journée, elle avait eut la pensée heureuse de rencontrer son cher Edmond. Lorsqu'elle lui en avait fait part, celui-ci avait refusé. Il avait déclaré  ne pas vouloir prendre le risque de rencontrer le mari.
Louise avait alors imaginé une panoplie d'approche saugrenues, dans lesquels Georges ne les trouverait jamais... mais Edmond n'avait rien voulu entendre.
Ce fut alors le dernier jour de joie de la jeune épouse. Elle était désormais là, assise sur son banc de pierre, entre pivoines roses et tulipes blanches. Les larmes perlaient sur ses joues, sa robe, ses bottines. Une douleur sourde remplissait le coeur de Louise , une douleur de femme abandonnée. Mais ce n'était pas à Edmond qu'elle en voulait, c'était à Georges. Elle le haïssait maintenant. Lui, qui ne l'avait jamais comprise et l'embarrassait d'un enfant. Lui, qui faisait obstacle à son amour; qui constituait une barrière entre elle et son correspondant, son ami, son amant.  Lui, qui voyageait, la laissant seule. Lui...
Et Louise inventa une multitude de défaut à Georges, qu'elle pouvait ainsi mépriser d'avantage...

Cocu [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant