Totem Ekleipsis

Chapitre 1: Veni Vidi Amavi

D'aussi loin que je me souvienne, je crois que je me suis toujours sentie très différente des autres. Et ce n'était pas une phase, loin de là. J'étais comme un tournesol parmi les roses et c'était plutôt curieux comme sensation parfois. C'était comme si je n'avais ma place nulle part et à la fois partout.

Cette différence je l'ai saisie pour la première fois, à l'instant même où mon père et ma mère ont divorcé. Au début je ne comprenais pas pourquoi ils avaient fait cela, ce qui était sûr c'était que dorénavant chacun d'eux allait m'éduquer à sa façon. Encore aurait-il fallu que mon père m'éduque réellement. Il ne l'a pas fait. Ma mère de son côté en revanche, s'est saignée pour que je puisse vivre une petite vie de princesse et je suis fière de ce que je suis devenue grâce à elle. Néanmoins, je me sentais encore différente. J'avais certes, des similitudes flagrantes avec ma mère mais il y avait des choses que je ne retrouvais chez personne d'autre de ma famille que chez moi-même. Avec mon frère par exemple, le courant n'est pas toujours bien passé. Nous étions très proches lorsque j'étais petite mais notre écart d'âge a fini par mettre en avant à notre plus grand désavantage tout ce qui faisait que nos générations n'étaient pas les mêmes. En revanche, j'étais très soudée avec ma grande-sœur même si la distance a fini par avoir légèrement raison de notre proximité.

Depuis que mes dents de lait ont commencé à tomber, j'ai été très proche de mes grand-parents, plus particulièrement de ma grand-mère dont la complicité a toujours été naturelle. Elle m'a prouvé que l'amour ne connaît pas de limites et que le pardon est une chose essentielle. Elle m'a d'ailleurs souvent répété une phrase qui au fil du temps est devenue quasiment un slogan dans ma vie : « Fais le bien sans regarder à qui. »

De plus, une grande partie de ma famille a toujours été très spirituelle alors j'ai grandi en baignant là-dedans et j'ai fini moi aussi par m'évader peu à peu de ce que les autres appellent à tort la réalité.

Ce sentiment de différenciation constante a fini par s'estomper et j'ai pu être élevée comme une petite fille normale. Je crois que c'est au collège que les choses sérieuses ont débutées et que tout l'ordre établi s'en est trouvé chamboulé.

Je crois que tous les enfants comme moi passent malheureusement par là, c'est toujours cette étape qu'ils doivent franchir. Je le dis par expérience, mais vous vous en doutez, j'ai subi du harcèlement scolaire et à un âge où vous n'êtes pas en mesure de réussir à encaisser correctement. Je n'avais que 12 ans et je trouve ça injuste que sous prétexte que l'on ne soit pas au goût des autres, que l'on doive subir toute la cruauté des autres enfants.

Ils vous traitent comme si vous n'étiez pas comme eux. Et vous finissez par vous enfermer dans la solitude.

Du moins, jusqu'à ce que quelqu'un ou quelque chose vous en délivre.

C'est à peu près à cette période que j'ai décidé de définitivement coupé les ponts avec mon père, je ne voulais réellement plus lui parler. Il était irresponsable et le mot est faible, je vous épargnerai bien les détails d'abandon. Ce qui était certain c'est qu'il était devenu bien trop insistant pour obtenir ma garde et il ne l'aurait sous aucun prétexte, je devais lutter jusqu'à ma majorité, il était hors de question qu'il me sépare de ma mère, pas après ce qu'il nous avait fait, pas après tout ce qu'il lui avait fait.

Un jour, il s'est pointé à la maison et ma maman et lui ont longtemps discuté. Je n'arrivais pas à écouter leur conversation, d'ailleurs, je n'ai jamais su de quoi il en retournait. Ma mère ne me l'a jamais expliqué mais depuis ce jour, mon père n'a plus jamais fait d'apparition dans ma vie. C'est à ce moment précis que j'ai cessé de le désigner par « papa ». Il était devenu un simple géniteur.