Les Ombres et la Brume

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 D'aussi loin que je me souvienne, et on pourrait presque dire que cela date d'hier, je me suis souvent demandé comment j'allais mourir. Les médecins disent que c'est sans doute une conséquence de ce que j'ai subi avant mon amnésie. Comme un genre de réminiscence. Je me souviens de beaucoup de choses, l'amnésie est légère et ne prend en compte que quelques détails, sans doute bien enfouis dans mon subconscient. Qu'ils y restent. Ça ne m'inquiète pas plus que cela. L'accident de moto vient en premier, bien entendu. Bien qu'il m'ait interdit de prendre la bécane, je m'arrange toujours pour faire un petit tour en douce. L'assassinat vient pas loin derrière... Mais mourir de chaud, jamais je n'aurais mis cela dans possibilités. Quelle idée de mettre trois tours qui tournent à fond dans moins de vingt mètres carré ? Il veut me tuer, c'est sûr ! Heureusement que l'automne arrive, l'air est un peu plus frais, et je peux respirer... Mais il va falloir que je garde tout ouvert, même la nuit... Et encore, seulement quand je serai là. Misère...

Je compile tout ce que je, enfin nous, savons sur l'enquête en cours. Malgré le fait que ce soit une grande ville, les polices de quartiers sont bien moins protégées que les grands pôles de la ville, et plus accessibles pour moi qui suis douée avec l'informatique. J'attrape les premières feuilles imprimées et allume une cigarette. Trois morts en moins de trois mois. La première, Violet Gyslain Fox. Exposée dans le réfectoire, crucifiée, un pentacle gravé sur le front. A écrit un roman dystopique qui sera publié post-mortem. Seconde victime, Joey McGuire, retrouvé crucifié à la porte de la fraternité des Deltas, un pentacle gravé sur le front. Était favori pour le concours national de mathématiques de cette année.

Manifestement trois têtes si je comprends bien. Et à chaque fois, lors d'une réussite sociale. Étrangement, malgré les évidences, j'ai du mal à croire à la façade satanique que tous ces meurtres exposent. C'est trop surfait, quelque chose sonne faux dans tout ça, j'en suis certaine. Ce n'est pas là que je dois creuser. Je continue de lire, clope à la bouche, quand des rires sous ma fenêtre m'interpellent. Je fronce les sourcils et observe.

Elles sont deux, d'apparence très gothiques, à rire comme des pimbêches, à prendre des photos de la fameuse statue, en restant tout de même bien loin. Ok... J'ai la chance de pouvoir avoir des informations et c'est ce genre de filles qu'il me faut pour mener à bien mes investigations. Le genre à adorer le sang et le diable d'apparence, mais qui prie la Sainte Vierge tous les soirs que personne ne vienne les assassiner dans leur sommeil. C'est tout à fait le genre. J'écrase ma clope à moitié allumée dans mon cendrier. Il me faut bien une raison de descendre.

Je descends en quatrième vitesse, prenant tout de même le temps de fermer ma porte. En bas, je reprends mon souffle, faisant l'air de rien, avant de m'approcher d'elle, une nouvelle cigarette à la bouche. Elles m'aperçoivent et viennent vers moi sans que je n'ai à faire quoi que ce soit d'autre. Parfait.

- Tu dois être la nouvelle ! On a entendu parler d'une étudiante en informatique qui débarquait.

J'acquiesce, sans un mot de plus. Moi qui pensait passer inaperçue, je me suis trompée. Pourtant le campus, bien qu'il soit bien moins impression que certains autres, paraît-il, n'est pas si petit que ça. Mais bon, je n'ai pas le temps de m'attarder là-dessus. Je regarde la statue de loin, les sourcils froncés.

- T'en as entendu parler, hein ? Ça a fait la une, ici. C'est pour ça qu'on se demande pourquoi une nouvelle arrive, avec tout ce qu'il se passe.

Tiens, j'ai l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part. Et dire que nous avions travaillé ma couverture à la perfection. Je secoue la tête.

- Le programme en informatique est excellent, ici. Et comme je l'ai déjà signalé à l'un de vos camarades, mon transfert est prévu depuis un moment. Et je vous avouerai que je suis venue un peu à reculons quand j'ai su ce qu'il se passait ici. Mais c'était un peu tard...

Bon, c'est pas vraiment mon genre de jouer les victimes apeurées, mais si ça pouvait me permettre d'avoir quelques petites informations. Je suis loin d'être la face sociale du groupe... Lui non plus, à vrai dire. Mais bon, au moins, moi, j'arrive à communiquer avec des machines, lui... A vrai dire, je ne sais pas trop. Mais ce n'est pas le moment pour y penser. Les filles se regardent, un instant. Vont-elles me briefer, ou me laisser dans l'ignorance. Elles soupirent avant s'approcher plus intimement, comme si elles voulaient garder le secret.

- Il y a une légende, dans le campus. Il y a une vingtaine d'années, des meurtres comme ceux-là auraient déjà eu lieu. Mais on dit que l'assassin n'a pas pu finir ses rituels sataniques. Alors, il aurait envoyé son apprenti qui finirait de fermer le cercle et accomplirait ce que son maître voulait faire, il a de cela vingt ans.

Bon... A voir pour les meurtres d'il y a vingt ans. Mais pour le reste, j'hésite encore à leur rire au nez. Mais je ne dis rien. Je les regarde à nouveau, l'air sérieux.

- Mais, ça ne vous fait pas peur, tout ça ? Je veux dire, ça a l'air de vous exciter, cette histoire. Je ne sais pas comment vous faites. Je sais que personnellement, je ne passerai pas une nuit sans me barricader dans ma chambre...

J'en fais peut être des tonnes, mais plus c'est gros, plus ça passe. Elles gloussent, en se regardant. Soit elles sont inconscientes, soit elles sont complètement folles, je ne sais pas encore.

- On attend que ça qu'il nous contacte pour faire parti de son culte ! On est fascinée par ce qu'il fait. Avec un peu de chance, on sera peut-être les prochaines !

Ok, elles sont folles, c'est sûr maintenant. Je me rends compte que seule la brune s'exprime vraiment. L'autre, une petite blonde, semble vraiment plus timide. Je ne sais pas si elle est autant dans le délire que sa copine, mais ça a l'air, en tout cas. La brune m'observe soudain, avec une telle intensité que j'en frissonne.

- Ou alors, ça pourrait être toi. Tu as le profil d'une sacrifiée.

Sympa ! J'ai un petit rire nerveux, mal à l'aise. Je leur fais un petit signe de la main, alors qu'elles s'esclaffent de nouveau. Tarées ! Elles font froid dans le dos, dans un sens. Je les regarde à nouveau. Je vais devoir faire des recherches sur elles. Même si je doute que cela donne quelque chose de sérieux, une telle adulation, ce n'est clairement pas normal. De mon point de vue, en tout cas.

J'entre dans le bâtiment, mes pensées encore sur les deux jeunes femmes que je viens de quitter, quand deux mains fermes m'attrapent par les épaules. Je regarde Johan qui se tient devant moi, tout sourire.

- Fais attention, miss ! Tout va bien ?

Je lui souris et lui fais signe que oui, avant de le quitter, de façon aussi barbare que lorsqu'il m'a raccompagnée... Pourquoi me trouble-t-il autant ?... Pas maintenant...