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 - Nous sommes arrivés, Mademoiselle.

Perdue dans mes pensées, je ne m'étais pas rendue compte que la voiture s'était arrêtée. Je souris au conducteur et sors, respirant une bouffée d'air frais, si on peut appeler ça comme ça, dans une ville comme la Nouvelle-Orléans. Le conducteur, un jeune afro-américain, sort ma valise du coffre. Je lui laisse un billet de cinquante, sans prendre la monnaie. L'argent a toujours été le cadet de mes soucis, et il semble en avoir bien plus besoin que moi.

Je traverse la rue, faisant s'arrêter les rares voitures présentes en ce milieu d'après-midi. Les gens travaillent, la plupart des étudiants ont cours, je ne devrais pas être embêtée pour m'installer. Le campus n'est pas si différent des autres que j'ai pu voir, peut-être plus petit que celui de New York, mais c'est sans doute normal.

Je traîne ma valise dans les allées, pianotant sur mon clavier de téléphone pour trouver mon dortoir. Je tourne sur la droite et soupire. Même dans les plus petites universités, les garçons un peu lourds sévissent. Et là, je pense être tombée sur deux champions du genre. Ils présentent plutôt bien, avec leurs chemises blanches et leurs pantalons à pinces gris anthracite. Mais je ne suis pas dupe. Je connais le genre de spécimen. En général, ils sévissent surtout lors des soirées étudiantes. Mais cette trempe-là se couche peut-être avec les poules, allez savoir !

- Hey ! Tu es nouvelle, toi ! On ne t'a jamais vu par ici ! Besoin d'aide ? Contre ton numéro de téléphone et une virée en voiture ?

Sans doute une décapotable dernier prix qui aura coûté un bras à papa. Ou maman. Je me retiens de lever les yeux au ciel. Je connais ce genre de types, j'en suis sans doute une des cibles favorites, avec mon teint pâle, mon air innocent, mon physique élancé, sans oublier les longs cheveux roux et les yeux en amande vert d'eau. Ah ! Dans une autre vie, j'aurais sans doute pu faire mannequin. Mais défiler sur des talons de quinze centimètres, pleurer pour les pandas et rêver d'un monde en paix, ce n'est pas vraiment le style de la maison.

Je me tourne vers eux avec un sourire qui les fait frétiller, dans tous les sens du terme. Et franchement, je ris beaucoup intérieurement.

- Bah alors les gars, on est en manque de chair fraîche ? Au point de manquer de respect à une jeune arrivée sur le campus... Avec votre approche, vous êtes mal barrés, et pas seulement avec moi. Du moins, j'ose l'espérer. Je pense que peu de filles comme moi s'intéressent à vous et à la knacki ball que vous avez entre les jambes.

Je remonte mes lunettes noires sur le sommet de mon crâne et m'éloigne d'eux, un sourire satisfait au coin des lèvres. Le temps qu'ils saisissent, je serai installée, avec un chocolat chaud et des cookies dans mon nouveau chez moi... Enfin, chez moi, pour combien de temps ? C'est toujours la même rengaine.

Une fois hors de leur vue, je sors une cigarette de ma poche et l'allume. Pas que je suis loin, mais j'aime prendre mon temps. Et très vite, je tombe sur la statue dont j'ai tant entendu parler. Je fronce les sourcils et m'arrête, quelques secondes. Je ne sors pas mes notes de peur d'attirer trop l'attention. Elle est encore entourée du ruban jaune et noir de la police. Je fronce les sourcils. Le dernier corps à été retrouvé là crucifié à la base. Jason Molton. Un étudiant exemplaire en droit, spécialisé en droit des mineurs. Il était une des étoiles montantes de l'établissement. Une triste nouvelle pour le monde juridique. Un pentacle avait été tracé sur son front. Messe satanique ou mise en scène. Je ne le sais pas encore. Mais ce sera une information simple à découvrir, du moins, je l'espère.

- Encore une touriste attirée par le macabre, ou tu est une vraie, toi ?

Surprise par le ton méprisant utilisé, je me retourne et fais face au jeune homme qui vient de m'apostropher. Grand, brun, ténébreux, il me fixe, les sourcils froncés. Il doit être à peine plus jeune que moi, au vu de son physique, à peine vingt ou vingt-et-un an. De tout évidence un étudiant, et un sportif. Pas grand intérêt, mis à part qu'il est plutôt très intéressant à regarder. Je finis par me reprendre et secoue la tête.

- Une nouvelle, en fait. Je cherche mon dortoir.

La bonne excuse et la bonne planque. Il ne laisse jamais rien au hasard, j'ai l'habitude, malgré le manque de nouvelle habituel auquel je fais encore face, pour changer. Son expression change et un sourire parfait s'étire sur ses lèvres.

- Ah ! Désolé ! On a beaucoup de cons qui viennent voir ici à cause de ce qu'il s'est passé. Je m'appelle Johan, troisième année de Lettres Classiques.

Intéressant, rares sont les jeunes de nos âges qui s'intéressent aux langues anciennes... Aux langues tout court d'ailleurs.

- Marianne, troisième année d'informatique.

Un des rares talents que je possède, et ce, depuis mon enfance. Je lui tends la main, avec un léger sourire. Il me tire à lui, chose que je laisse faire, surprise, et m'embrasse sur les deux joues, avant de me fixer d'un air taquin.

- On se dit plutôt bonjour comme ça dans le coin. Il n'y a que les étudiants en droit pour être aussi formels.

Je souris, gênée. C'est la seconde fois de ma vie que je mets les pieds sur un campus, et je ne suis pas rassurée. Surtout s'ils sont tous comme lui.

- Je t'emmène à ta chambre ! Tu as l'air bien chargée.

C'est le moins qu'on puisse dire. Sans crier gare, il attrape ma valise et file vers le bâtiment dortoir, au fond de la cours.

- Pourquoi tu viens étudier ici ? Surtout si tu sais ce qu'il se passe, c'est pas le moment. Il y a pas mal d'étudiants qui ont quitté les lieux.

Une information intéressante, certes, mais guère étonnante puisqu'on en est au troisième mort depuis le début de l'année scolaire. Je fais la moue et soupire.

- Mon transfert est prévu depuis des mois. Vous avez le meilleur programme d'informatique de la région. C'est mon cursus donc j'ai mis mes peurs et le reste de côté pour me concentrer dessus.

Il secoue la tête, mais je devine son sourire. Un bon point ?

- Quelle chambre ?

Je vérifie avant de lui donner le numéro 394. Nous continuons en silence, mais, très vite, trop vite pour moi, en tout cas, nous arrivons devant la porte bleue de mon nouveau studio. Comme prévu, la clé est déjà sur la porte. Je le fixe, avec un sourire.

- Merci beaucoup. J'espère qu'on se recroisera vite.

Oui, clairement, je le congédie sans une once de gentillesse. Il semble contrarié, mais, néanmoins, il m'adresse un signe de la main avant de repartir. J'attends qu'il ait disparu avant d'ouvrir et de m'enfermer dans ma chambre. Mon chez moi, mais également mon espace de travail. Je me retourne et vois les trois tours informatiques devant moi. Un sourire naît sur mes lèvres. Je vais pouvoir travailler sereinement. J'attrape mon téléphone et tape un message.

Bien en place. Le boulot peut commencer. A. 

Les Ombres et la BrumeWhere stories live. Discover now