introduction

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"Bonjour, chers téléspectateurs ! Vous n'êtes sûrement pas sans savoir que, ce soir, la tant attendue exécution de notre ancien roi Louis XVI sera diffusé en direct sur Canal1 ! Pour ne rien louper, soyez ce soir devant vos écrans, à 21h précises ! Bonne journée à vous tous, et on se retrouve ce soir à 23h pour pouvoir en discuter dans votre émission Pourquoi Ne Pas en Parler, avec nos exceptionnels invités d'un soir! "

La voix de cet homme a toujours exaspéré Doña Sol, même avant qu'il ait tenté de s'emparer du royaume. Encore endormie, elle se déplaça péniblement pour arrêter le pépiement du présentateur. Ayant éteint la télévision, elle appela la domestique pour qu'elle lui prépare son thé. Encore trois minutes à patienter. Elle prit un livre posé sur sa table de chevet, lut quelques pages. Encore deux minutes. Elle entreprit de contrôler l'emplacement des meubles, de faire le tour de sa chambre, ranger superficiellement. Une minute. Elle s'assit sur le rebord de la fenêtre, se perdit dans ses pensées, refit le monde à sa manière. L'interrompant, la bonne fit irruption dans la chambre, la tasse posée sur un plateau d'argent. "Un sucre, comme à l'accoutumée" déclara-t-elle de sa voix vide et plate ; Doña Sol détestait son timbre de voix : elle n'aurait pas dû l'embaucher. Mais avec la mort de papa et maman...

Se dirigeant vers sa chambre, elle ne put s'empêcher de s'arrêter devant le boudoir. Elle pouvait encore imaginer sa soeur, alanguie sur la causeuse, accompagnée de sa suite. Presque malgré elle, elle pénétra dans la pièce, qui conservait cette odeur si particulière d'eau de rose... elle pouvait encore entendre le froufrou des toilettes extravagantes de la défunte, les éclats de rire, les chuchotements des adolescentes... Elle sortit de la pièce pour poursuivre son chemin vers ses quartiers, demanda à une aide passant par là d'aller chercher Nina, pour qu'elle lui prépare son bain. "Avec des sels, madame ?" "Ne vous souciez pas de ceci, elle le saura". Poursuivant son chemin, elle ne put s'empêcher de s'arrêter pour contempler les tirages des portraits de ses aïeux, suspendus aux murs par tradition. Immanquablement, ils lui rappelèrent une époque révolue, où la vie avait une saveur, où son avenir était prometteur... 

Elle sentait dans son dos le regard des gardes, elle entendait les murmures des femmes de chambres, qui semblaient tous lui exprimer leur pitié. "Pauvre enfant ! si jeune, et déjà tellement éprouvée !". on ne pouvait que compatir : sa famille a été tuée quelques années auparavant, pendant un siège de leurs rivaux : les Gondecourt-le-Château, leurs anciens alliés, qui avaient finalement décidé de leur voler leur place à la Cour, tant enviée des personnalités illustres du Royaume. Seule survivante, elle était depuis condamnée à une vie solitaire, entourée  de ses domestiques, dans un châtelet au sommet d'une crête isolée dans l'arrière-pays niçois. La rancœur et son désir de vengeance devinrent bientôt ses seuls moteurs ; elle passait ses journées penchée sur la correspondance sauvée de ses ancêtres, qui aurait pu lui donner un indice sur le chemin emprunté par ses ennemis. Mais elle ne doutait point qu'un jour, ils reviendraient achever le travail commencé. Elle se préparait donc, jour après jour, à pouvoir enfin assouvir son désir. Une vie triste en somme ; une jeunesse gâchée, une vie monotone, dans un château morne et glacial : c'est ainsi que commence notre histoire.

nouvelleWhere stories live. Discover now