La liberté n'est pas un trésor, c'est une étincelle qui anime l'âme, naturelle et unique. La liberté est l'instinct le plus primitif qui nous soit donné. Indécelable et omniprésente.
« Ne 'leuRre 'as. »
Il était impossible à calmer. Son corps avait atteint la bonne corpulence, Gut savait qu'au prochain passage des grands êtres, son protégé serait emmené. Il semblait aussi le savoir. Le gavage constant des Gurks était redoutablement efficace. Ils atteignaient à peine leur première année avant d'être déporté là-haut.
Les cycles s'étaient succédés, les aller-retours des grands êtres aussi, et les liens entre les deux orphelins s'étaient profondément renforcés. Gut avait vu grandir l'effroi et le désespoir chez l'enfant, incapable de les combattre. Le gardien avait pu constater avec le temps que les Gurks n'étaient pas aussi bêtes qu'on le disait, loin de là. Ils ne parlaient pas, se contentant de cris bestiaux et étaient fortement limités par leur physique obèse. Les travailleurs aimaient se moquer de ces créatures trop à l'étroit dans leurs cages, sans se poser la question de leur sensibilité. L'enclos de l'atrophié était désormais très sale, il nageait dans les restes de déjections et d'urine que les agents de ménages nettoyaient difficilement malgré la grille qui servait de sol, permettant l'évacuation des déchets. Les enclos étaient parfaitement lavés et désinfectés entre deux locataires. Le reste du temps, l'odeur qui s'en dégageait faisait froncer les narines de quiconque s'en approchait. Les gardiens n'en faisaient pas cas, leur odorat habitué ne sentait plus grand-chose.
« Là-haut, c'est 'ien. Tu 'e'as. 'u Vv'rras. »
Une plainte longue et déchirante lui indiqua que sa tentative était vaine. Rien n'apaisait les malheurs de l'enfant. Quelques autres pensionnaires s'agitèrent, dérangés par ces piaillements désagréables. Heureusement, la lourdeur de leur digestion permettait un sommeil comateux et résistant. Il essaya de se redresser mais le plafond de fer l'en empêcha, ses articulations enflées retombèrent lourdement sur le sol, étouffant sa douleur, il se tourna lentement sur le côté. Il regarda Gut longuement, une larme coula le long de sa joue tandis qu'il s'installait pour dormir.
« Do's Bbien. »
Il resta encore un moment à observer ce petit être coincé dans un monstre de chair et de graisse. Sa respiration ronflante ne cachait pas ses reniflements accablés. Un étau avait pris place dans sa poitrine, comprimant ses poumons, il lui semblait se trouver dans un mauvais rêve dont le sens lui échappait. Il aurait voulu briser cette cage et s'enfuir avec lui, mais où ? Leur monde se résumait à ce cube gigantesque de métal vieillit et de néons grésillants.
Il ne dormait plus, tournant et se retournant sur sa couche, le fin matelas crevassé lui déclenchait des points de douleurs dans les côtes et la nuque. Il se redressa Cette impression d'étouffement ne le lâchait plus. Il voulait partir, rêvant d'un horizon sans limite, une image sans couleurs ni traits, Gut ne pouvait se représenter qu'un sentiment vague de liberté. Liberté. Un mot qu'il ne connaissait pas.
« Cc'est 'as yuste. »
Sa parole s'évanouit dans l'ambiance confinée de la pièce. Il se leva, se dirigeant vers le mur-miroir, se regardant vraiment pour la toute première fois. Il était là, il était lui, impuissant et tout aussi enfermé que ce pauvre Gurk. Là-haut.
Le temps n'avait jamais semblé aussi palpable à Gut, l'attente joyeuse et enfantine avait laissé place à une horreur froide et suintante. Le hangar vibrait d'une agitation latente et générale. Le Gurk était intenable, refusant les biscuits que lui tendait le gardien, il déteignait sur ses congénères dont le sommeil s'altérait depuis plusieurs cycles. Malgré l'insubordination grandissante de son protégé, il ne pouvait se résoudre à le punir, son corps était déjà recouvert de nombreux coups, preuves de punitions déjà trop nombreuses.
Un déclic puis un roulement sourd vinrent s'ajouter au malheur du Garlic. Ils arrivaient. Peut-être ne le marqueraient-il pas, après tout, il n'avait pas un bon comportement, or, seuls les meilleurs étaient élus. Son Gurk n'était pas exemplaire du tout. C'est ça. C'était un mauvais Gurk, dès son premier jour dans le hangar il n'avait respecté aucune des règles qu'il était présumé suivre.
Un autre déclic, plus lourd, et un glissement. Ils étaient là. Gut ne pouvait s'empêcher d'être émerveillé. Il oublia le temps d'une respiration son appréhension, hypnotisé par la solennité de l'apparition. Les silhouettes se déplacèrent dans un silence absolu, sillonnant les allées, même les Gurks s'étaient tous instantanément calmés.
Lorsqu'ils commencèrent à se rapprocher de la cage où il se trouvait, Gut se précipita dans sa loge, se sentant fautif de faits innommables devant ses créateurs. Aucun ne prêta attention à lui, un se pencha sur la cage du Gurk atrophié, le fixant quelques secondes remuant légèrement la tête de droite à gauche. Leurs combinaisons intégrales cachaient même leurs visages derrière une sorte d'écran noir opaque.
Il retint son souffle beaucoup trop longtemps, attendant le verdict, avec horreur il vit le grand être prendre un collier et l'attacher autour du cou du Gurk. Non. Pas lui. Pas le sien.
A l'instant où le collier fut en place, la vie sembla disparaître du corps gargantuesque. Lorsqu'ils furent partis, Gut courut le plus vite possible vers l'enclos, ses yeux humides le gênaient. Un calme froid et statique avait pris place dans le cœur et le corps de deux-doigts.
Il n'avait pas fermé l'œil de tout le cycle 1. Faisant le tour de sa cellule encore et encore. Fait rare, il était allé passer le temps libre de l'après-midi en salle commune, écoutant les racontars braillards de deux femelles qui lui faisaient les yeux doux. Il avait capitulé très vite, retournant presque en courant dans sa chambre.
Ce soir, il serait orphelin, à nouveau. L'étau autour de sa poitrine ne s'enlevait pas. Il s'était résigné à attendre l'alarme, se noyant dans le reflet de l'homme-cochon qui lui faisait face.

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L'Homme-Usine
Science FictionVoici une nouvelle que j'ai découpée en 5 parties. Je vous laisse découvrir l'histoire par vous-même ! :) J'en posterais certainement d'autres, c'est un genre que j'apprécie particulièrement, à lire et écrire ! Espérant que cela vous plaira.