3. La chambre

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Le lycée Azalaïs d'Altier était composé de trois bâtiments; les pensionnaires n'avaient accès qu'à deux d'entre eux. A l'entrée du lycée, protégée par une grille, on s'engageait sur un chemin bétonné qui menait tout droit au premier : c'était une immense bâtisse de deux étages, tout en longueur, dans laquelle se trouvaient les nombreuses salles de cours, la salle des professeurs, l'administration et le foyer des lycéens. L'ensemble était propre mais mal entretenu; le bâtiment avait été construit à la fin des années 40 et avait gardé un air vieillot, qui possédait un certain charme pour qui n'est pas rebuté par les couleurs pastel et la monotonie des longs couloirs. En hiver, le chauffage y était toujours trop fort, et en été, les murs fins n'isolaient pas de la chaleur, ce qui faisait que le bâtiment était surnommé "La Marmite" par les élèves comme par leurs professeurs, parce qu'on y bouillait littéralement. Plusieurs générations de lycéens avaient marqué ça et là leur présence, ce qui assurait aux lieux la séduction des espaces renfermant des histoires. Ainsi, l'endroit ne manquait pas de chaleur, au sens propre comme au figuré, malgré sa relative nouveauté, et les élèves s'y sentaient immédiatement à l'aise.

Le second bâtiment était le lieu de vie des internes: il comprenait, entre autres, leurs chambres, la cantine, et la bibliothèque. Contrairement à La Marmite, c'était une très ancienne bâtisse dont on ignorait exactement l'origine et la période de construction. Environ quatre-vingt élèves étaient répartis dans vingt chambres, auxquelles s'ajoutaient les quatre chambres des surveillants. La première fois que Maureen avait visité les lieux, en juillet, elle s'était étonnée de la composition des lieux. " L'architecte devait être à moitié endormi quand il a conçu cette baraque, c'est pas possible!". - "Ou alors, il avait bu!" avait malicieusement rétorqué Arthur. L'architecture de l'internat était en effet incompréhensible à première vue, ce qui lui avait valu d'être taxé de labyrinthe, et d'en garder le surnom. Le Labyrinthe était constitué d'un entrelacs d'escaliers desservant des étages dissemblables en taille et en hauteur, ce qui donnait un aspect indéchiffrable aux lieux du visiteur novice. Seul un œil exercé élucidait dans ce fouillis une logique, originale mais implacable, qui ordonnait l'ensemble harmonieusement.

D'emblée, le regard de Maureen avait été attiré par une toute petite porte délicatement sculptée, à demi dissimulée par un rideau de velours bleu près de l'escalier principal. Quand elle avait interrogé Arthur à son propos, il avait haussé les épaules. Briac avait été plus loquace et lui avait indiqué que c'était la bibliothèque, l'annexe du CDI réservée aux pensionnaires.

- Je n'y ai encore jamais mis les pieds, je n'ai trouvé l'entrée qu'en juin ! Ton oeil de lynx a encore frappé !

Elle avait souri et s'était promis d'y entrer dès qu'elle en aurait l'occasion. Au collège, le CDI était installé dans un préfabriqué, et consistait en une minuscule salle dans laquelle quelques étagères à moitié vides proposaient des livres souvent en mauvais état ; il n'y avait même pas d'ordinateur pour les élèves, le collège n'avait pas eu le budget. Maureen y passait pourtant tout son temps libre, dans un premier temps pour échapper aux moqueries de ses camarades. Le lieu ne correspondait en effet pas à sa nature sauvage, elle qui était plutôt du genre à courir dans la forêt, mais c'était le seul endroit où elle était un peu tranquille, en dehors des toilettes, où il était hors de question de traîner plus que nécessaire pour des raisons évidentes. Avec le temps, pour tromper son ennui, elle avait commencé à lire tout ce qui lui tombait sous la main, et avait développé un goût considérable pour la lecture, encouragé par son père, qui ne jurait que par la littérature. Un ouvrage l'avait particulièrement passionnée : Découvrir l'Irlande en trois jours (1994). Ce n'était certes pas une œuvre de grande qualité, et le guide était largement obsolète, mais elle avait enfin pu en apprendre un peu plus sur ce pays avec lequel elle avait tant de liens et si peu d'informations. Son père n'en parlait jamais et répondait évasivement aux questions que la jeune fille lui avait posé, coupant court à la conversation, généralement avec un mouvement de mauvaise humeur. Elle supposait que sa réaction était liée à la disparition de sa mère, mais elle n'avait jamais osé insister.

MaureenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant