{Réécriture} La Petite fille aux allumettes

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   La nuit était dévorante tandis que l'année déclinait peu à peu sous les rires chaleureux. Lesdécorations de Noël encore accrochées aux murs, suspendues au-dessus des rues brillaient demille feux sous l'éclat de la lune et semblaient chanter les mélodies de fin d'année.

   Les fenêtres reflétaient le bonheur, le partage, l'amour des derniers soirs enchantés dedécembre. Mais si les maisons vibraient de félicité, la rue elle, était abandonnée. Quelquesrares voitures passaient, çà et là, brisant le silence et le noir de la nuit.

   Les pénombres étouffaient tout, le vent, les chants, la joie et les larmes. Et seul résonnait lebruit de ses pieds nus s'écrasant sur le sol glacial et dur. Elle courait dans la nuit, elle lafuyait tout en s'y enfonçant. Elle fuyait le bonheur et laissait derrière elle ses larmes. Despetites perles salées qui guidaient les ténèbres vers leur proie.

   Dans sa fuite, elle n'avait pas enfilé ses chaussures. Elle n'était vêtue que d'une simple robeavec laquelle elle devait passer la soirée. Ses lèvres étaient maquillées pour rendre son sourireplus vrai. Mais toutes ces précautions n'avaient pas pu la contenir dans son foyer éteint, etelle s'était dérobée à la lumière de ses illusions. Elle s'était emparée de la boîte d'allumetteset dirigée vers la table. Alors qu'elle allumait les bougies, elle avait vu les visages s'éteindre.Les flammes des souvenirs avaient soufflé sur les sourires et les avaient effacé. Rien n'avaiteu le temps de cicatriser, la brûlure était encore vive dans leurs âmes, le vide encore untrop-plein de souffrance, l'absence était dans tous les yeux et leur brûlait les lèvres.

   Face à ce tableau déchiré, à cette famille écorchée, à ce foyer accablé, elle avait lâché lechandelier, elle avait brisé le silence, et détruit les apparences qui gisaient dans des larmes surses joues. Et puis, elle avait couru. Hors d'ici, laissant les lambeaux de son cœur glisser entreles doigts de sa famille désemparée.

   Tout envoyer valser, tout laisser aller dans une course, tout abandonner à la nuit. Elle confiaità la nuit sa plus grande folie, celle de la détresse. Elle n'allait nulle part, elle fuyait à s'enperdre. Plantes des pieds contre le bitume. Rougies par le froid, rougies par la douleur.

   Et dans la nuit, ce bruit sourd et cinglant. Jusqu'à ne vivre plus que dans l'écho de ses proprespas.

   Elle s'arrêta, épuisée, désorientée. Au milieu de la rue, pieds nus, vêtue de sa robe bleuesombre, sa boîte d'allumettes à la main. Elle tomba au sol dans un cri étouffé par le froid quicramait sa gorge. Elle regarda, impuissante, ses mains rouges et blanches, puis ses piedsmeurtris. Au beau milieu de nulle part, voilà où elle était. Elle s'était perdue depuis ce jour-là.Elle errait, son âme traînant derrière elle, son cœur se morcelant un peu plus chaque seconde.

   Elle ne souhaitait aller nulle part, si ce n'est dans le passé. Se réfugier loin, s'envelopper dansses souvenirs, loin du froid, loin de la vérité cruelle.

   Elle vivait dans l'hiver, le froid était roi, elle en était la reine. Malgré tout, ses frissonsincessants, ses dents claquant frénétiquement, et la couleur de ses doigts la poussèrent àallumer une première allumette. Pour tenter de réchauffer ses membres gelés, et son coeurglacé. Une larme orpheline vint éteindre la petite flamme.

   Elle se leva en chancelant et se dirigea vers le trottoir, attirée par une fenêtre chatoyante. Ellecrut y apercevoir des images de son passé, le repas, les couleurs vives, les étreintes, l'amour.Désespérée, elle tenta d'allumer une nouvelle allumette pour reproduire cette lumière qu'ellejalousait. La flamme aussi chancelante qu'elle ne faisait que refléter sa détresse.

   Alors, puisque ni le monde ni ses jambes ne pouvaient plus supporter le poids du vide quiaspirait son coeur, elle se laissa choir contre un mur. Quelques minutes passèrent. Elle avaittellement ressassé, tellement pleuré, tellement pensé qu'il n'y avait plus rien. Plus que letemps qui passe, tyran de son existence.

   Dans une seconde de lucidité, elle se souvint avoir glissé un papier dans sa poche en début desoirée. Encore flageolante, elle le sortit doucement. Elle craqua une nouvelle allumette. Lalumière timide éclaira quelques mots, écrits d'une plume tremblante. Et malgré la beauté desmots, ce qui lui importait à ce moment précis, c'était juste ces lettres, cette manière de signer,l'irrégularité des lignes.

   A nouveau des sanglots. Démunie face à ces mots, son cœur battait à tout rompre, sonsouffle s'accéléra. La nuit vint éteindre la flamme, la laissant à nouveau seule à ses souvenirs.Elle serra la lettre contre son cœur et leva la tête. Les étoiles lui apparurent. Et puis, ses yeuxrencontrèrent la plus belle étoile filante. Elle passa comme si elle l'avait attendue pendant desjours, elle brilla si fort qu'un instant la nuit même s'oublia. Et malgré sa fulgurance, ellepassait lentement. La jeune fille aux allumettes sécha ses yeux embués de larmes pouradmirer cet astre venu caresser la nuit. Sa traînée dorée comme une étincelle dans sa vie, lapetite fille ne pouvait plus quitter des yeux cette poudre enchantée. Comme pour la guider,cette étoile traversait le ciel. Comme si elle lui chuchotait à l'oreille que tout allait bien aller.Une promesse de miel dans le bleu de la nuit. Et puis l'envie de dépasser l'horizon, d'endétruire la frontière.

   Une étincelle dans son cœur. La flamme ravivée par l'étoile. Elle craqua une allumette, lesourire aux lèvres. Comme pour saluer cette âme plongeant dans l'infini de la nuit, pour laremercier, pour lui dire d'enfin se reposer en paix, elle tint longtemps l'allumette allumée aubout de son bras tendu.

   Le ciel étoilé de cette nuit-là se glissa dans son cœur, empli d'une saveur cosmique etunique, un tableau magnifique à jamais, où elle prendrait du plaisir à se perdre parfois, tard lanuit.

   Il lui restait quelques allumettes et beaucoup de rêves. Il lui restait toute la nuit et des milliersde sentiments à crier. Il lui restait une vie et tant de souvenirs. Alors pour redonner forme àson cœur, pour accueillir enfin ce vide, pour le combler sans le faire disparaître, elles'empara d'une nouvelle allumette. La magie de cette nuit peut-être, la force de l'espoir, lapuissance de son amour, elle inscrivit des mots sur ce sol terne. Elle resta là des heures, aveccette petite flamme, pour tout graver. Dans cet élan présent, il y avait toute la force du passé.Chaque mot contenait des secondes inoubliables et des prophéties inéluctables.

   Et puis le soleil vint embraser le ciel et embrasser la nuit, et elle laissa partir son étoile. "Jegarde un peu de toi avec moi, mais envole-toi !"souffla-t-elle avant de la voir s'évaporer dansla lumière flamboyante du jour. Elle se releva enfin, rêvant déjà de voler des années encoreparmi les arbres et les nuages, avant d'un jour, laisser le vent l'emporter plus haut aussi.

   Le lendemain, les passants trouvèrent sur le sol d'étranges inscriptions et des perlescristallisées. Si l'on s'approchait, on pouvait déceler des mots écrits à la flamme d'uneallumette tremblotante.

Merci. De faire briller mes souvenirs, d'éclairer mon chemin. De me sourire, en me tenant lamain.
D'avoir, de tes mots, de mes prénoms, façonné mes ailes. De me laisser aujourd'hui voler.D'être la lune discrète qui veille sur ma vie la nuit, encourageant mes rêves à rencontrer lesoleil.
Merci d'être toujours là. D'avoir brisé le temps et parsemé le ciel d'étoiles récoltées dans teshistoires.
Ta petite fille,

   Le dernier mot, tu par la nuit, n'était pas encore accompli, n'était pas encore fixé. Il allaitencore voguer longtemps dans le monde, porté par ses allumettes, pour s'éteindre sur uncahier, sur les vagues, dans les étoiles.

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Petit recueil d'histoiresWhere stories live. Discover now