Le Styx

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Tout est possible, c'est vrai. C'est pour cela que ce que je vais réaliser aujourd'hui, je vais le faire, alors qu'auparavant je croyais cela impossible. Comment le pourrais-je ? Comment pourrais-je faire cela ? Tout simplement parce qu'il m'a poussé au bout, non au bout du rouleau, mais au bout du vide. Il m'y a poussé sans regret, alors maintenant que j'ai résisté, alors que je croyais cela impossible, je vais le réaliser, l'impossible. Mais qui est possible, vu que je vais le réaliser.

Je roule. Je me dirige à grandes accélérations vers l'impossible. Je vais vite, il fait noir ; mais je sais que rien ne va m'arriver, car aujourd'hui je suis invulnérable. Je me suis forgée une carapace pour lui résister à lui, à ses supplications, à ses phrases si bien tournées ; mais cette carapace vaut aussi pour tout ce qui n'a pas de rapport avec lui.

Sur l'autoroute, je ne croise presque personne. Il est bientôt minuit, tout le monde dort chez lui. Moi pas. Moi, je suis en route pour réaliser mon impossible, pour le bluffer, lui. Je vais retourner la situation actuelle, et sans aucun regret. Comme lui n'en a eu aucun.

La voiture électrique que j'ai loué pour l'occasion tient la route à une très bonne vitesse. Je roule avec la vitre ouverte, sortant la tête de temps en temps pour sentir le vent emmêler mes cheveux longs. C'est agréable, même très agréable, et ça me fait me sentir libre.

Oui, libre. Pas sous son emprise.

Les minutes s'écoulent lentement. Devant mes yeux, je vois défiler un paysage campagnard, calme et sans danger. Enfin, sans danger à part moi, bien sûr.

Je me rapproche de plus en plus de ma destination. Mon coeur bat la chamade. Au loin, je vois les ombres chinoises des premières collines se découper sombrement, comme des vagues. Comme les vagues qui agitaient le fleuve cette nuit-là...

Je tourne sur une route bétonnée, encadrée de collines. De chaque côté du chemin, des fossés profonds devraient m'effrayer. La dernière fois que je suis repartie d'ici, je n'étais plus en état de conduire, tant j'étais secouée, et j'avais failli tomber dans le fossé de droite. Mais aujourd'hui, je ne suis effrayée par rien du tout. Je suis juste déterminée et sûre de moi.

La route tourne à droite, et je donne un gros coup de volant qui manque de faire renverser la voiture. Il fait très froid, et la route est par endroits recouverte de givre.

Je roule continuellement, je ne freine jamais. Il n'y a personne, il n'y a que moi. Moi, qui avance vers lui. Je m'approche, qu'il me craigne. Oui. Qu'il me craigne.

Je roule de plus en plus vite, pressée d'arriver et d'en finir avec mon plan. Et j'accélère tellement sans cesse que je vais à une vitesse folle. Avant, j'étais effrayée par la vitesse. Mais depuis qu'il m'a fait faire des tours en moto à la vitesse de la lumière, je ne crains plus rien.

Je tourne dans un virage, et une longue ligne droite s'offre à moi. La silhouette de la maison se découpe là-bas, au loin, au sommet d'une colline. Rien qu'à sa vue, les souvenirs affluent en masse dans ma tête. Je me revois lui donner un énième baiser, sur la colline ; lui sourire devant la porte de sa maison, notre maison...

Cette demeure est sombre, spacieuse. J'y ai passé tellement de temps avec lui... Mais aujourd'hui, ce temps est révolu. Et je ne souhaite pour rien au monde y revenir. Vivre au Paradis puis connaître l'Enfer ? Non merci. Je préfère vivre seule, entre les deux. Mais lui, il m'y a entraînée, dans le Paradis, son petit cocon douillet à lui ; avant de vouloir me pousser dans le Styx... Heureusement, j'ai résisté, j'ai puisé je ne sais quelle force en moi et j'ai résisté. Oui. J'ai résisté.

La ligne s'est raccourcie rapidement, et me voilà déjà devant sa maison. J'arrête la voiture de location quelques centaines de mètres devant la porte du garage, pour ne pas qu'il m'entende. Je déglutis avec difficulté, puis soupire et me dis que je dois le faire. Alors je me lève, et je me dirige à grands pas vers la maison. Ma marche est rapide, mon souffle dynamique ; mais en moi, je suis extrêmement calme et lucide. Arrivée devant mon objectif, je le contourne pour en arriver à l'arrière.

Le StyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant