Chapitre 2

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Cette soirée était la meilleure soirée de ma vie. On a passé la nuit dans le jardin de Ben et Flo, sous les étoiles. Bien emmitouflés dans nos sacs de couchages, nous nous racontions des histoires d'horreur à tour de rôle. Soan est le meilleur à ce jeu-là, il n'y a aucun doute. J'avais des frissons à chaque phrase qu'il prononçait, et il me regardait toujours, l'air de dire "et là, tu as assez peur?". En fait, je me suis toujours vantée de ne pas être froussarde, d'être une aventurière, et les garçons se moquaient de moi au début. Mais peu à peu ils se sont rendus compte que mes paroles n'étaient pas vaines: je suis une dure à cuire. Néanmoins, quelques petites choses font toujours effet dans mon coeur. Comme voir le film Titanic, ou encore voir un bébé pleurer (je ne sais jamais quoi faire, c'est si fragile!).

On peut même dire que j'apprécie vivre l'instant présent: je n'ai jamais été aussi heureuse qu'en compagnie de mes trois meilleurs amis. Et là, hier soir, nous avons été sous le ciel étoilé, tous à chercher la plus belle première étoile filante, jusqu'au petit matin. On se racontait des secrets, des blagues et on se taquinait. Les yeux brillaient sous la lumière de la lune, les sourires aux lèvres et les esprits légers.

Pourtant, il a fallu que ce moment de bonheur tourne mal. Ce matin, aux alentours de dix heures, j'ai été réveillée par mon téléphone.

"Darling, you got to let me know: Should I stay or should I go? If you say that you are mine, I'll be here 'til the end of time"

Sur le petit écran, il y avait marqué "Maman <3". Lorsque j'ai décroché, elle pleurait tellement que ses paroles étaient inintelligibles. Je l'ai mise en haut-parleur, pour que les garçons puissent m'aider à déchiffrer ses mots noyés dans les larmes. Après quelques instants, elle s'est calmée et dit, le plus doucement possible:

"Tania... il faut que... tu viennes à l'hôpital.

- Pourquoi maman? Que se passe-t-il?

- C'est ton père, il...

- Il... quoi, maman?"

Soudain ses pleurs reprirent de plus belle. Il a fallu encore attendre près d'une minute pour que sa voix cesse de trembler et qu'elle continue.

"Le docteur vient d'annoncer qu'il était en phase terminale d'un cancer du poumon."

Tout d'abord je n'ai pas compris ce qu'il se passait. J'ai regardé les garçons à tour de rôle, et ce que j'ai vu ne m'a pas plu. Flo se cachait la tête dans ses mains, il refoulait ses larmes tant bien que mal. Ben me regardait avec des yeux ronds, le visage blême, prêt à tomber dans les pommes. Et Soan s'est approché de moi, m'a enlacée et m'a chuchoté dans l'oreille, d'une voix douce et pleine d'attention : ça va aller. Je suis tombée par terre, estomaquée.

Les garçons connaissaient mon père comme s'il était leur propre père. Ils savent aussi que je n'ai jamais eu une relation parfaite avec lui. Pourtant, c'était mon père et il savait exactement ce que j'aimais, ce que je voulais faire et ce que je voulais devenir. Il était le seul adulte qui me comprenait vraiment, car il n'avait jamais perdu son esprit d'adolescent. Notre seul sujet de dispute, c'était la cigarette. Il en fumait trop, et cela lui est retombé sur la tête. Ce que je ne comprenais pas, c'est le fait qu'on ne s'en rende compte que ce jour-ci? S'il avait eu un cancer, il l'aurait su directement, et se serait fait soigner! Il avait dans son entourage les meilleurs docteurs qu'il soit. Je devais comprendre.

J'ai alors fourré toutes mes affaires dans mon sac, j'ai dit au revoir à tout le monde. Puis j'ai attendu ma voiture. Lorsque je suis arrivée à l'hôpital, il pleuvait. Le temps était horrible, l'orage grondait et il fallut courir jusqu'au hall, sans parapluie car le vent les faisait se retourner. Enfin arrivés dans le hall, mon chauffeur et moi, trempés, avons demandé le numéro de chambre d'Olivier Collas. L'hôtesse nous répondit alors: c'est la chambre 306 au premier étage, quelqu'un va vous accompagner.

Je ne pris pas le temps d'attendre le guide. Je courus et pour la première fois de ma vie j'avais l'impression d'être lente. Je traînais les pieds, je ralentissais peu à peu. Et si je n'avais pas envie de voir mon père? Peut-être qu'il avait la peau blanche sur les os, les yeux sortant des orbites, qu'il était à moitié enterré, comme dans les films? Non, je voulais savoir. Je repris alors la cadence et arrivai devant la fameuse porte. Je pris une grande inspiration, j'ai fermé les yeux et me suis dit: sois forte. D'une main ferme, je frappai trois coups et entrai.

Quand je rouvris les yeux, je vis ceux des autres visiteurs se diriger vers moi. Ils me dévisageaient, me couvaient d'un regard triste. Je continuais d'avancer, tout le monde me laissait passer. Je ne savais pas qu'autant de personnes avaient le droit d'entrer dans une chambre aussi petite, surtout dans un hôpital. Je ne connaissais même pas tout le monde. Au fur et à mesure que j'avançais, je m'emplissais de rage et de haine, contre ces personnes autour de lui. Je connaissais bien les amis, les collègues de mon père, mais là, je voyais des personnes inconnues, ne venant jamais à la maison. Ils n'étaient venus à l'hôpital seulement par respect pour le ministre des affaires étrangères, mon père. J'étais même sûre que des journalistes se cachaient parmi eux. J'avais une envie de hurler incontrôlable, une envie de foutre tout le monde à la porte pour que je puisse parler en tête à tête avec mon père. Lorsque je vis enfin le lit, j'hésitai. Mais, tous les yeux étant sur moi, je ne pouvais plus reculer: je me suis rappelée que j'étais une dure à cuire.

Malheureusement, quand je croisai le regard de mon père, je ne pus dire autre chose que : merde.

TaniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant