Chapitre 3

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Mon imagination m'avait encore joué un tour. La peau blanche de mon père était recouverte de perfusions. Il me regardait de ses yeux bleus. Ces yeux bleus dont j'ai hérité la clarté, et qui m'ont valu maints compliments, me faisaient peur à présent. J'avais peur de la mort qui transparaissait d'eux. Le regard de mon père affichait une certaine surprise de me voir ici. Il ne s'y attendait sans doute pas. Lorsque ma mère remarqua ma présence, elle lâcha la main de son mari pour venir à ma rencontre:

"Ma chérie tu es venue!

- Oui maman, aussi vite que j'ai pu.

- Viens t'asseoir à côté de lui."

Obéissante, et effrayée, je me suis dirigée vers le lit immaculé. Je voyais bien que mon père essayait de me laisser de la place, mais sa force le quittait peu à peu. Il réussit néanmoins à articuler, sans voix: je dois t'expliquer. Me sentant observée, je regardai autour de moi. Tous ces visages inconnus me toisaient toujours, à la manière de vautours, attendant le bon moment pour piquer vers leur proie blessée. Ils attendaient sûrement un scoop, un mot qui allait tous faire basculer. Les mitraillant de mon regard noir, je les convainc à partir sans un mot. Tant pis si je paraissais impolie, je voulais être seule avec ma famille.

Lorsque nous fûmes enfin seuls, je regardai mon père. Il voulut ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne sortit. Se sentant coupable de voir son mari souffrir, ma mère se tourna vers moi et commença:

" Le docteur a dit qu'il ne lui restait qu'un mois à vivre, voire moins..." Sa voix tremblait de culpabilité. Intérieurement, j'étais détruite. Je ne voulais pas croire ce qui m'arrivait. Je pris une grande inspiration, et essayais de contrôler mon impatience. Affichant un air impassible et fixant mon père, je repris d'un ton qui se voulait calme:

" Depuis quand le saviez-vous?" Confuse, mon interlocutrice regarda le sol.

" On ne voulait pas te blesser, alors on ne te l'a pas...

- Je m'en fiche de ce que vous avez voulu faire, depuis quand le saviez-vous?" Sans m'en rendre compte, j'avais levé la voix sur ma mère. Je me tournai vers elle. Les larmes lui montèrent aux yeux. C'était prévisible, car une boule de nerfs comme moi ne peut pas contenir son sang-froid aussi facilement. La femme leva alors la tête, puis elle s'avança vers moi, comme si elle voulait me prendre dans ses bras. Je reculai, secouai la tête d'un signe de refus et continuai:

"Maman, d'où vient cette maladie? Pourquoi papa ne s'est-il pas fait soigner?"

- Tania, laisse moi parler." D'un coup, son timbre de voix s'était affirmé. Elle était plus calme et me regardait droit dans les yeux. Moi qui la connaissais, je savais bien qu'elle ne voulait pas me donner un simple conseil: c'était un ordre. N'ayant pas d'autre choix, j'obéis, croisai les bras sur mon torse et attendis la suite.

"J'ai appris la maladie de ton père bien après qu'il ne l'aie apprise lui-même en septembre. A Noël, lorsqu'il me l'a enfin annoncé, j'avais d'abord cru à une blague. Puis j'ai vu sur son visage qu'il ne plaisantait pas. Il a essayé de se faire soigner, il a été voir les meilleurs médecins du monde entier. C'est pour cela qu'il a autant voyagé ces derniers mois. Mais très vite, on lui a interdit de quitter le pays. Alors il a profité de son infirmité pour mettre à bien des projets qu'il n'avait pas terminé. Lorsque j'ai appris la nouvelle, il était déjà au stade 3. Il a atteint le stade 4 en début mai, il y a deux semaines. Il n'y a pas de retour en arrière possible."

Sa voix s'était cassée pendant la dernière phrase. Elle baissa les yeux, puis les releva vers l'occupant du lit, spectateur à la scène, n'ayant pu en prendre part. Remuée par toutes ces informations d'un coup, je tombai sur la chaise la plus proche. Le visage dans mes mains pour cacher mes larmes, je répétai: c'est pas possible, c'est pas possible. Nous sommes restés comme cela pendant une dizaine de minutes. Fuyant cette ambiance morose, ma mère se décida à quitter le chevet de son mari pour aller nous chercher nos boissons favorites dans le distributeur du couloir. Quelques instants plus tard, quand elle fut enfin revenue, mon père fut prit d'une quinte de toux, comme je n'avais jamais vu auparavant: secoué de spasmes, il ne pouvait plus respirer. Il crachait des glaires, ses yeux sortaient de leurs orbites. La scène était telle qu'on pouvait penser qu'elle était tout droit sortie d'une série américaine: une alarme s'enclencha, et quelques secondes après, des aides-soignantes accompagnées de docteurs déboulèrent dans la petite chambre. On me demanda de sortir. Chamboulée, je ne demandai pas mon reste et quittai la scène.

TaniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant