Le Septième Continent

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Cette histoire commença là, le jour de mes quinze ans, le 7 juillet 2017. Comme tous les étés, je passais mes vacances au Canadel, sur la Côte d'Azur avec mes parents. J'étais plutôt du genre solitaire, et au lycée comme en vacances, je n'avais jamais beaucoup d'amis. C'est pour cela que mon activité favorite était de m'asseoir sur un rocher, seule, et de regarder les gens marcher, courir, nager, s'amuser... bref, grouiller et être heureux. Je passais mon temps à leur imaginer une vie que je poursuivais chaque jour, sans jamais leur parler. Mais ce que j'aimais par-dessus tout c'était de pouvoir les regarder sans qu'ils n'aient jamais le moindre sentiment d'être observés.

Ce jour-là, un bruit inhabituel attira mon attention. Une bouteille de verre, pareille à celle des romans d'aventure venait de s'échouer sur mon rocher. Celle-ci, dont le verre vieilli se fissurait, avait l'air de contenir un mystérieux parchemin. Un coup sec contre le rocher me suffit pour la briser. Le parchemin était ancien et l'écriture manuscrite s'effaçait par endroit. Mais je réussi tout de même lire :

« Avant de lire ce parchemin sache que la seule morale que tu dois en retenir est de toujours prêter attention au monde qui t'entoure et de ne jamais fermer les yeux. Si j'écris ceci c'est pour que jamais une telle situation ne se reproduise.

En ce moment, les rues sont désertes et connaissent un calme qui n'a pas existé depuis longtemps. Les seuls bruits encore audibles sont les clapotis de l'eau qui monte, qui monte, sans rien qui l'en empêche. Les fenêtres des quelques tours qui tiennent encore debout sont brisées, des voitures silencieuses et modernes, il ne reste que quelques carcasses, les pavés autrefois lisses et alignés des rues sont maintenant cassés et parsemés de corps dont les visages encore horrifiés laissent transparaître les derniers instants de vie d'hommes, de femmes et d'enfants qui n'ont malheureusement pas choisi leur destin. Afin de voir jusqu'où ce désastre a-t-il pu aller, je décide de monter comme je peux dans la première tour encore debout que j'aperçois. Du haut du 96ème étage, je comprends que tous ceux qui ont fui la mort en fuyant la ville, ont fini par rencontrer l'eau et sont probablement morts noyés à l'heure qu'il est. Le paysage a bien changé, et, à ce moment précis je ne vois que le reflet de ma solitude et je n'entends que mon corps, le seul encore vivant, qui frissonne à l'idée qu'il ne lui reste que quelques heures à vivre avant d'être avalé à son tour. Mais que faire maintenant ? Ou plutôt, qu'aurions-nous dû faire pour ne pas en arriver là ?

Tout a commencé il y a un peu moins d'un an alors que tout paraissait jusqu'ici parfait... enfin presque ! Mes journées, enfin les journées, ressemblaient toujours à cela sans jamais aucune exception. Le réveil sonnait à sept heures, le matin en petit déjeunant chaque membre de la famille, à tour de rôle, devait raconter ses rêves qui ne s'oubliaient jamais. À huit heures pétante, les maisons des banlieues, toutes identiques, alignées, et colorées en fonction des générations se vidaient. Chaque famille se rendait ensemble en ville, dans sa voiture électrique, de couleur identique à celle de leur maison et pouvant transporter quatre personnes. En effet, chaque famille était composée de deux parents un père et une mère du même âge et de deux enfants, un garçon et une fille. A ce propos je me suis toujours interrogé sur le fait qu'une telle égalité ait bien pu se produire... à 8h30, chaque jour, du lundi au samedi, 365 jours par an, les enfants étaient déposés dans des centres éducatifs où on leur apprenait à vivre dans la communauté où ils sont nés, où ils sont éduqués, où ils mèneront leur vie, où ils mourront. Afin de vérifier que chaque enfant suit correctement l'apprentissage des règles, à son arrivée, il était enregistré dans les ordinateurs de la ville. Un building entier leur était réservé. Chaque étage correspondait à une année de naissance, et les enfants ne se trouvant pas dans les bonnes classes étaient tout de suite repérés car tous les enfants du même âge possédaient un prénom commençant par la même lettre. Cette année c'était la lettre « P ». De plus, chaque génération avait sa couleur d'uniforme. En ce qui concerne les adultes, ils passaient leurs journées à faire du sport et à s'instruire et possédaient donc des très bonnes facultés autant physiques qu'intellectuelles. Le matin était réservé au sport : le lundi cyclisme, le mardi course à pied et il s'en suivait ainsi pour le reste de la semaine. Tous les jours, à midi, tout le monde, des nourrissons aux grands-parents, arrêtaient leurs activités pour le déjeuner. Un repas était attribué à chaque jour de la semaine et les quantités étaient calculées au gramme près. Je me suis toujours demandé à quoi cela pouvait servir étant donné qu'on m'a toujours dit que les ressources étaient abondantes et que les terres étaient fertiles. Elles étaient même modernes, car les robots s'occupaient de cultiver, transformer et préparer la nourriture, le tout sans jamais aucune interruption. De 13h à 14h, avait lieu la promenade. Il s'agissait d'un rituel durant lequel chaque quartier parcourait son propre sentier. Cette promenade était toujours maintenue car la météo était toujours clémente. Personnellement, je l'appréciais beaucoup car la nature était toujours magnifique : les arbres toujours fleuris, l'air à la fois pur de la montagne et iodé de l'océan entretenait le calme et la sérénité qui régnait. A 14h, toutes les activités reprenaient, ainsi les adultes se rejoignaient dans les librairies virtuelles, les conservatoires ou encore les salles d'art. À 18h, chaque couple reprenait sa voiture, allait chercher ses enfants et rentrait chez soi, sans jamais être retardé par les embouteillages, ce qui m'étonnait particulièrement. Les rituels se succédaient, encore et toujours, sans aucune faille. A 19h, comme chaque soir, le repas était servi et la maison nettoyée, les robots avaient travaillé toute la journée. Chaque maison en possédait un, qui ne nécessitait le contrôle de personne. Leur autonomie et leur faculté à réfléchir telles que nous m'ont toujours fascinées. Cependant, je ressentais toujours ce sentiment d'infériorité envers eux, comme s'ils me contrôlaient. Le dîner se déroulait exactement comme le déjeuner, à une exception près : chaque membre de la famille devait raconter sa journée dans les moindre détails mais sans grand intérêt puisqu'elles étaient toutes identiques. Il y a toujours eu une chose qui a retenu mon attention lors de ces dîners monotones, quand il fallait débarrasser, contrairement au reste de la journée le robot ne faisait rien mise à part laver la carafe d'eau. A 21h, la ville s'endormait, encore et toujours dans le calme et la sérénité. Le dimanche était le jour de repos, toutes les familles restaient chez elles hormis pour se rendre à la MME : la Maison de la Morale et de l'Esprit. À 9h toutes les familles se rejoignaient dans le Colossal Building, le seul de la ville construit en verre, et se réunissaient dans le but de communiquer avec les Dieux pendant plus de 3h. Chaque génération possédait son étage, les plus jeunes regardaient des livres d'image ou des vidéos leur expliquant la religion, quant aux adultes, le livre sacré, « La Conscience », leur était donné dans lequel étaient rassemblés tous les Textes Saints de la communauté transmis par les Dieux. Dans un premier temps, tous se plongeaient dans les écrits ou dessins, ensuite, un temps de réflexion était organisé durant lequel ils priaient et communiquaient avec les esprits. Je dois dire que mon rituel était assez différent de celui des autres car le dimanche ne se résumait pas à me rendre simplement au Colossal Building mais de m'en occuper. J'en étais responsable. En effet, je ne priais pas mais j'instaurais les prières. J'aimais ça, mais d'un autre côté je me posais plein de questions sur la vie et la religion m'incitait encore plus à m'interroger. Cet instinct de réflexion je le tiens de mes ancêtres puisque le métier de « Communiquant » se transmettait de père en fils. La question qui revenait sans cesse était pourquoi cette communauté est si parfaite si les gens sont entourés de tant de règles, donc privés de liberté ? Mais ce qui me tourmentait par-dessus tout, c'était d'avoir ce sentiment que quelque chose nous était caché, d'en être le seul, et de n'avoir aucun moyen de le découvrir... jusqu'au jour où je me suis rendu compte qu'en tant que Communiquant j'étais le seul à avoir accès aux dossiers de la MME qui contenaient les nouvelles prières de chaque mois et qui faisaient évoluer les règles de la communauté. J'avais remarqué un évènement : pendant la nuit du 31 au 1er de chaque mois, les dossiers étaient renouvelés. Je n'ai jamais compris comment, ni par quoi ? Un jour, je décidai de mener ma propre enquête. J'avais un plan bien précis. J'allai dissimuler des caméras dans ces dossiers et attendre de voir ce qui allait leur arriver. Pendant la nuit du 31 janvier et 1er février de l'année - 20 132, je veillais mon écran à la main. Aux alentours de 2h du matin, alors que je commençais à somnoler, tout devint très clair... nous n'étions que de simples marionnettes dans un théâtre. Les dieux en réalité n'étaient pas des dieux, la composition des familles avait un but, la pesée des repas n'était pas faite en faveur de notre santé, les horloges ainsi que les carafes étaient truquées et, enfin, il est simple pour un robot d'agir comme un humain lorsqu'il est contrôlé par... un humain. Les dossiers m'ont fait prendre connaissance de ce mystère qui nous était à tous caché. En effet un gouvernement surplombé notre communauté et contrôlait nos actions, nos pensées de A à Z. Les Dieux étaient en réalité les représentants de ce gouvernement, les familles de quatre personnes maximum permettaient d'éviter une surpopulation et les gènes étaient modifiés dans le but d'instaurer une égalité parfaite entre le nombre d'hommes et de femmes, la pesée précise des repas permettait de contrôler l'épuisement des ressources, quant aux embouteillages, ils ne pouvaient avoir lieu étant donné que nos horloges biologiques étaient modifiées, les carafes permettaient d'enregistrer nos conversations et, pour finir, le Colossal Building était en verre afin de nous surveiller, nous étions toujours surveillés ! À partir de ce moment là, tout s'est enchaîné très rapidement, j'ai parlé de mes découvertes à mon entourage et nous avons judicieusement décidé d'instaurer une révolution. Cependant, certains préféraient vivre inconscients dans l'ignorance plutôt que malheureux dans la connaissance. Deux clans bien distincts se sont très vite formés et malgré le fait que les armes étaient difficiles à trouver, la guerre a commencé. Tous les rituels ont été brisés, pour être remplacés par des journées ainsi que des nuits entières de destructions. Les voitures servaient de barrages et de protections, les maisons et les buildings, détruits, quant à eux ne servaient que de simples cachettes et très vite le calme et la sérénité ont été remplacés par les cris et les explosions. L'odeur des arbres fleuris avait disparu et avait été remplacé par celle de la fumée et des corps. Rapidement la ville s'est vidée de ses habitants, morts ou fuyants vers les banlieues, quant à moi, j'ai erré dans les souterrains du Colossal Building, attendant le calme suivant la tempête. C'est ainsi que j'ai décidé de sortir, de monter en haut de la première tour venue, puis de chercher parmi les débris de quoi écrire afin de laisser une trace de ce que j'ai vécu. Entre temps, l'eau est montée et a atteint la moitié de la hauteur de l'immeuble, j'avais remarqué une très forte hausse de la température qui devait sûrement en être la cause. Je viens de comprendre... le gouvernement a décidé d'en finir avec ce désastre en mettant en place une accélération du « réchauffement climatique » que nous ressentions déjà depuis quelques jours. J'aperçois que l'eau a atteint l'étage sur lequel je me trouve et je constate qu'il ne me reste plus que quelques minutes à vivre. Je dois probablement être le dernier survivant, le seul... de toute façon, j'ai toujours su que j'étais différent, après tout c'est l'exception qui confirme la règle. »

Lorsque je terminais de lire l'histoire de cet homme, j'étais bouleversée. La nuit commençait à tomber, il fallait que je rentre. Le dîner était prêt, mes parents m'attendaient. Sans grandement prêter attention à ce bout de papier, je couru dans ma chambre le ranger dans un endroit où personne n'irait fouiller.

Quinze ans plus tard...

Aujourd'hui, je suis professeure dans une université qui forme les futurs chercheurs en environnement. Un soir, en rentrant chez moi alors que j'avais travaillé toute la journée sur le réchauffement climatique avec mes élèves, quelque chose me tracassait. En effet, j'avais cette sensation de « déjà vu » qui me troublait. Je ne parvenais pas à trouver le sommeil quand je me suis souvenue du parchemin de la plage il y a quinze ans. À partir de ce moment-là, tout devint très clair. L'histoire de cet homme... son gouvernement... la disparition du septième continent... le réchauffement climatique... tout est lié.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 14, 2020 ⏰

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