Silence

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Cette courte nouvelle a été écrite pour le concours spécial confinement de Saphyrea23.

Cela faisait quelques mois maintenant qu'une épidémie ravageait la Terre.
En 2020, c'était le fameux COVID-19 qui avait fait parler de lui, mais cette fois-ci, c'était pire.

En 2043, en vue d'une potentielle guerre bactériologique, le gouvernement américain avait commencé à créer des virus, bactéries et parasites génétiquement modifiés pour les lâcher au au-dessus de la Chine, si leurs relations s'aggravaient davantage.
Malheureusement, un des virus avait réussi à "s'échapper" du laboratoire où il était stocké à cause d'une maladresse d'un scientifique, avant d'aller contaminer d'abord les animaux plutôt communs, tel que les vaches ou les moutons qui ne craignirent  pas le virus en question, et puis les humains.

Et ce fut l'hécatombe.

Les premiers symptômes étaient une petite toux, qui s'intensifiait avec le temps. On pouvait aussi noter une irritation de la peau, des brûlures d'estomac et des nausées fréquentes. Parfois, la fièvre était aussi au rendez-vous.
Et par-dessus tout, ces symptômes s'aggravaient tellement vite que l'on pouvait mourir rapidement. Enfin, parce que sinon ça n'était pas drôle, le virus était extrêmement contagieux.

Ça avait commencé par l'Amérique du Nord, puis du sud, l'Asie, l'Océanie, l'Afrique et enfin l'Europe.

Un mois après le début de cette épidémie, le gouvernement français avait fait une annonce où il avait déclaré un confinement encore plus strict que celui de 2020, avec des sorties seulement pour acheter à manger, chacun ayant un ticket de rationnement pour éviter les rafles de papiers toilette ou de pâtes.

Jules s'était retrouvé confiné avec Hélène, sa fiancée. Au début, tout allait bien, ils étaient ensemble, collés sur le canapé à enchaîner les séries, à télétravailler, à jouer aux échecs. Ils pensaient que rien ne les séparerait, même pas ce petit virus, que tant qu'ils étaient ensemble tout irait bien. Leur appartement restait donc animé par leurs cris de joie, leurs discussions endiablées ou leur amour pourtant discret et silencieux qui résonnait aux quatre murs de leur cellule de confinement.

Seulement, pour aller faire les courses, c'était une personne, pas plus. Jules avait voulu y aller pour préserver Hélène mais celle-ci avait refusé. Elle avait argumenté en disant qu'il ne lui arriverait rien elle avait un masque, du gel hydroalcoolique et même des gants. Alors à chaque fois, il la laissait aller faire les courses et en attendant qu'elle revienne, il s'asseyait sur le perron de la porte et comptait les secondes, les minutes, voire même les heures qui le séparaient d'elle.
Elle revenait alors, toujours souriante, brandissant son sac de course d'un air victorieux. Elle prenait ça d'un air léger, espérant atténuer l'inquiétude de Jules mais malheureusement, ça ne marchait pas bien. Jules était toujours aussi anxieux, toujours apeuré, toujours inquiet et cela recommençait à chaque fois que Hélène retournait faire les courses.

Et puis... Hélène l'attrapa. Ce "virus de merde" comme disait Jules, et il avait raison de rager cette fois.
Ils ne surent jamais quand et comment elle l'avait attrapé. Mais le mal était fait.
Jules confina Hélène dans leur chambre, lui apportant parfois un bouillon de légumes ou un gant de toilette humide à poser sur son front bouillant.

Hélène délirait. À chacun de ses cris, une lame invisible s'enfonçait un peu plus dans le coeur de Jules. Les hôpitaux étaient surchargés donc on lui avait dit de la garder ici mais il ne savait pas quoi faire pour qu'elle aille mieux, pour gommer ses souffrances.
Hélène allait mal. De jours en jours son état empirait et Jules le voyait bien. Quand elle ne délirait pas, elle pleurait et quand elle voyait Jules, elle s'excusait d'être ainsi un fardeau, d'être si inutile et que, si elle avait eu assez de forces, elle se serait étranglée pour abréger tout ça. Cela faisait pleurer Jules qui lui disait alors qu'elle n'avait rien à se reprocher. Il aurait voulu la prendre dans ses bras, l'embrasser mais il ne pouvait pas. Et ça le torturait de la voir ainsi sans qu'il ne puisse la consoler.

Hélène était morte. Lorsque Jules était allé la voir ce jour-là, il l'avait retrouvé inerte sur son lit. Il avait tout de suite compris. Il avait hurlé son désespoir, frappé le sol et les murs. Tant pis pour les voisins. Jules déchaînait sa colère, se cassait les tympans, pleurait de toutes les larmes de son corps.

La compagnie de ramassage des cadavres ne venait plus, et Jules étant confiné en appartement, il n'avait pas de jardin pour enterrer l'amour de sa vie. Il se contenta juste de déposer une couverture sur le corps désormais sans vie de Hélène. Il allait rester dormir sur le canapé. Il ne voulait de toute façon plus le faire dans cette chambre.

Commença alors une des plus terribles périodes que Jules eut à supporter. Au départ, Hélène était là pour égayer ses journées, mais maintenant ? Maintenant rien. Il était seul. Seul sous un silence pesant.
Il ne savait que faire, ayant déjà regardé toutes les séries possibles avec Hélène, alors il se plongea dans le travail et bossa comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Il ne lui restait que ça. Il pouvait rester devant son écran d'ordinateur jusqu'à la nuit tombée sans qu'il ne s'en rende compte. Ensuite il engloutissait un bol de nouilles instantanées et recommençait à travailler, s'endormant souvent sur son clavier.

Il avait réorganisé son espace de vie, installant une glacière et le micro-onde près du canapé pour n'avoir à jamais se lever, sauf quand une envie pressante lui venait, pour aller se laver ou pour faire les courses.
Les courses, tiens. Le cauchemar de Jules. Il n'y allait que par extrême nécessité et seulement après avoir enfilé une combinaison de chantier, celle de quand on peignait les murs, avant de sortir.
Parfois il se disait qu'il ne devait pas prendre toutes ces précautions et attraper le virus pour mourir près de Hélène. Mais il se reprenait. À présent, il ne vivait que parce que Hélène était morte.
Mais le week-end, c'était ses deux jours de repos, vu qu'il travaillait tous les autres. Il s'ennuyait. Alors il s'amusait du silence, jouait avec ce nouveau bruit en faisant des vocalises pour ne pas perdre sa voix, parfois il jouait même aux échecs tout seul.
Et le soir il pleurait.
Le lendemain, il testait le monopoly avec son nouvel ami imaginaire, Gérard, ou encore la bataille, la bonne paye.
Et le soir il pleurait.
Et puis il recommençait à travailler le lundi.
Les larmes continuant de couler sur ses joues.
Pour ne pas perdre la tête, devenir fou à cause du silence ou même de l'odeur pestilentielle du cadavre d'Hélène, il parfumait l'appartement et mettait de la musique. Mais jamais des musiques entraînantes non, des chansons sombres, d'amour brisé, d'amour perdu, l'enfonçant un peu plus dans son malheur.

Parfois, sans raison apparente, Jules explosait de rire. Un rire de fou ou un rire nerveux, incontrôlable. Car après tout, n'était-ce pas ce qu'il était devenu finalement ? Fou ? Probable. Même si Jules ne voulait pas y penser, même s'il  préférait se répéter à longueur de journée que non non non, il était très sain d'esprit.

À vrai dire, Jules finit par oublier qu'il était en confinement. Alors lorsque le gouvernement annonça que l'épidémie était maîtrisée et que le confinement s'arrêtait, il fallut plusieurs minutes à Jules pour comprendre. Avant d'appeler la compagnie de ramassage des cadavres pour en finir avec cette odeur atroce et ce mal-être permanent, avant d'ouvrir les volets, les fenêtres, de passer sa tête à travers pour regarder les gens dans la rue, avant de se dire que pourquoi pas, pourquoi ne pas faire pareil et sortir lui aussi.

Et il sortit.

(Ceci est la version corrigée donc j'ai rajouté ou enlevé quelques mots qui n'allaient pas dans la version originale.)

Silence Où les histoires vivent. Découvrez maintenant